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OLGA OROZCO - « Pavane pour une infante défunte »

Par Ruedelapoesie @ruedelapoesie
OLGA OROZCO - « Pavane pour une infante défunte »
traduction : Carlos Alvarado-Larroucau
A Alejandra Pizarnik
Petite sentinelle,
tu tombes encore une fois par la fente de la nuit
sans nulles autres armes que les yeux ouverts et la terreur
contre les envahisseurs insolubles sur la feuille blanche.
Ils étaient légion.
Légion acharnée était son nom
Et se décuplaient à mesure que tu te détissais jusqu’au dernier faufil,
ils t’acculaient contre les toiles d’araignée voraces du néant.
Celui qui ferme les yeux devient la demeure de tout l’univers.
Celui qui les ouvre trace la frontière et demeure sans abri.
Celui qui foule la ligne ne retrouve plus sa place.
Des insomnies comme des tunnels pour prouver l’inconsistance de toute réalité ;
des nuits et des nuits perforées par une seule balle qui t’incruste dans le noir,
et le même essai de te reconnaître au réveil de la mémoire de la mort :
cette tentation perverse
cet ange adorable au groin de porc.
Qui a parlé de conjurations pour compenser la blessure de notre propre naissance ?
Qui a parlé de soudoyer les misères de notre propre avenir ?
Il n’y avait qu’un jardin : au fond de tout il y a un jardin
où s’épanouit la fleur bleue du rêve de Novalis.
Fleur cruelle, fleur vampire,
plus fourbe que le piège caché sous le velours du mur
et qu’on n’atteint jamais sans laisser la tête ou ce qu’il reste du sang au seuil.
Mais toi, tu te penchais quand même pour la cueillir où tu n’avais pied,
abîmes à l’intérieur.
tu essayais de la troquer contre la créature affamée qui te déshabitait.
Tu dressais de petits châteaux dévorateurs en son honneur ;
tu t’habillais de plumes détachées du bûcher de tout paradis possible ;
tu apprivoisais de bestioles dangereuses pour ronger les ponts du salut ;
tu te perdais comme la mendiante dans le délire des loups ;
tu essayais sur toi des langages comme acides, comme tentacules,
comme des laisses entre les mains de l’étrangleur.
Ah les ravages de la poésie qui te coupe les veines avec le fil de l’aube,
et ces lèvres exsangues sirotant les venins dans l’inanité de la parole !
Et Soudain il y en a plus.
Ils se sont cassés, les flacons.
Ils se sont ébréchés, les lumières et les crayons.
Il s’est déchiré le papier d’une déchirure qui te fait glisser vers un autre labyrinthe.
Toutes les portes sont pour sortir.
Maintenant tout est à l’envers des miroirs.
Petite passagère,
seule avec ta tirelire de visions
et le même et insupportable abandon sous les pieds :
sans doute tu clames pour passer avec tes voix de noyée,
sans doute elle t’arrête, ta propre ombre immense qui te survole encore à la recherche d’une autre,
ou tu frissonnes devant un insecte qui couvre de ses membranes tout le chaos,
ou elle t’épeure la mer qui tient, de ton bord, dans cette larme.
Mais encore une fois je te dis,
maintenant que le silence t’enveloppe par deux fois entre ses ailes comme une cape :
au fond de tout il y a un jardin.
Voilà ton jardin,
Talita cumi.

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