Ce soir, c'est du bord de mer que je vous écrit. Je me suis arrête dans un hôtel aux chambres traditionnelles et ma fenêtre donne sur la plage, où doivent parfois venir pondre des tortues car je suis juste à côté d'un musée qui leur est dédié. Pour arriver là, j'ai encore effectué une journée de marche consistante mais bien plus agréable que celle d'hier, dans un splendide paysage entre montagne et mer.
Ce matin je suis parti à huit tapante, comme je commence à en prendre l'habitude, après un petit déjeuner confectionné à partir de nouilles lyophylisées achetées hier soir, l'hébergement ne fournissant pas non plus de petit déjeuner.
Je n'étais pas loin du temple 20 mais comme je l'avais vu sur la carte il faut bien grimper pour y accéder. Je retrouve avec grand plaisir un chemin de montagne qui serpente agréablement dans la forêt dense. Le ciel est couvert mais le vent, qui souffle encore fort, a chassé la pluie. La pente est parfois forte, le sentier est bon, souvent aménagé de rondins. Je double quelques pèlerins, nous nous saluons. J'ai aussi revu mon cycliste d'hier en quittant le village. Ce décor me change très agréablement d'hier et je peux à nouveau goûter au plaisir de marcher dans un paysage inspirant.
Inspirant, le temple, harmonieusement posé dans cet écrin naturel, l'est également. J'y reste un petit moment, comme à chaque fois, avant de reprendre mon chemin. L'idée est d'aller jusqu'à la proximité du temple 23, ce qui représentera une cinquantaine de kilomètres et avec ce dénivelé là une bonne trotte. Depuis que je marche ici, et je pense adopter cette stratégie jusqu'aù bout, je commence mes journées à 8 heures et stoppe mon mouvement aux alentours de 17h, dès que je trouve un abris.Cela me fait tout de même entre 8 et 9 heures en action, puisque en dehors de la visite des temples je prends peu de pauses, ce qui est déjà une bonne dépense. Il me faut ça pour récupérer et la cadence n'est tout de même pas mauvaise pour l'instant.
Le chemin redescend ensuite toujours au milieu d'une montagne boisée. Une rivière coule paisiblement en contrebas, l'endroit respire le calme et la sérénité. Je rencontre encore quelques pélerins, dont un jeune anglais qui fait le trajet à pied avec deux amis japonais. C'est le premier occidental que je croise depuis mon départ.
J'atteins le temple 21 après une nouvelle remontée bien accentuée, entre les conifères et les bambous qui alternent leur domination dans la forêt. Il faut dire que ce temple est construit tout en haut du mont qui porte le même nom: Tairuyi. Le lieu est vraiment de toute beauté. Le temple principal est construit au pied d'immenses arbres. L'ambiance est mystique, l'atmosphère spirituelle. J'y croise bon nombre de pélerins, venus pour la plupart, comme c'est le plus souvent le cas ici, en bus ou en voiture. On peut se garer relativement près, en venant par la route, et il ne faut alors que quelques pas pour atteindre le temple. Mais chacun peut accomplir ce périple comme il le souhaite et le peut.
Il fait assez froid sur les hauteurs et le vent souffle fort. Je ne tarde donc tout de même pas trop à reprendre ma marche. J'entame alors une longue descente qui me conduira jusqu'à la mer. D'abords, pendant un bon moment, toujours sur ce chemin de montagne. Tout est très calme, le chant des oiseaux m'accompagne. Mes pensées, variées, sont plutôt positives. Je me sens bien, même si mes muscles se ressentent un peu de ces kilomètres pentus.
Le chemin, ensuite, reprend la route, peu avant le 22e temple, situé dans une petite localité, en bordure de rivière. Il est un peu moins majestueux et fascinant que les deux précédents mais reste harmonieux.
Si je me retrouve sur la route, pour les quinze derniers kilomètres de la journée, ce n'est heureusement pas du tout aussi stressant qu'hier. Je croise et doit même emprunter à nouveau la fameuse nationale 55 que j'ai suivi longtemps hier, mais sur un petit kilomètre, où je traverse tout de même deux tunnels. La circulation est heureusement moins dense qu'aux abords de Tokushima. Cependant, dans le deuxième tunnel, sans doute car le décor s'y prête et parce que je suis au Japon, je me prends à penser à une scène du film "rêves" d'Akira Kurusawa, où une armée fantôme traverse un tunnel similaire.
Le reste de ma balade du jour se déroule sur des routes plus modestes qui alternent avec de petits chemins boisés. A une douzaine de kilomètre de mon arrivée, j'atteins la plage de Tainohama. C'est ma première vue sur la mer depuis mon départ. Une mer qui m'accompagnera souvent dorénavant sur ce chemin des 88 temples. Je m'en réjouis car elle offre de superbe panoramas: côte découpée, mer d'huile où navigue un bateau de pêcheurs, petits ports bien calmes, petites îles qui se détachent sur le large, ma vue est comblée en cette fin d'étape. Le chemin monte et descend le plus souvent. En contrebas, je peux aussi voir des rizières où semblent s'abriter de nombreux batraciens: ça coasse beaucoup là-dedans. De beaux rapaces tournicotent au-dessus. Sans doute sont ils amateurs de cuisses de grenouilles.
Si ma vue est ravie, mes jambes et mes pieds commencent à souffrir du traitement. Le sol dur n'est pas tendre (sic) pour mes articulations et pour la peau de mes talons. Rien de grave mais le repos est le bienvenu lorsque j'atteins les abords de Minami où j'ai prévu de faire halte. J'avise d'abords un hôtel qui domine la mer mais le prix me parait vraiment trop élevé. Un gros kilomètre plus loin, l'établissement suivant est deux fois moins chère. C'est d'ici que je vous écrit, après un excellent dîner, sans doute le meilleur que j'ai pris depuis mon arrivée, composé essentiellement de poissons et de fruits de mer cuits et crus, et aussi une douche bien chaude, très chaude même comme c'est pratiqué ici, et un bain dans un "onsen" traditionnel. Tout en cuisant gentiment dans une eau à 45°, je discute avec un japonais qui fait également chemin à pied et parle un bon anglais. Il me félicité pour ma belle barbe (au moins ici c'est apprécié!) et m'explique qu'il effectue ce pélerinage pour la 3e fois. Mais il aimerait beaucoup aussi marcher sur le Saint-Jacques. J'y avais rencontré quelques japonais, sur la partie espagnole et vu pas mal d'autocollant "Shikoku". J'aime bien cette idée de réunir ainsi ces grands chemins de pèlerinage, pour l'éclosion d'une spiritualité itinérante et universelle, celle du chemin sans doute.