Les relations houleuses entre fils et père sont fréquentes, voire normales, pour peu que l'un et l'autre aient du caractère.Le fils s'affirme et s'affranchit en se heurtant au père, comme il s'est heurté aux objets quand il était tout petit pour apprendre à marcher.
Mais, la plupart du temps, le fils ignore tout, ou en tout cas beaucoup, de ce qu'est vraiment son père.Les relations fils-père
sont également faussées par le lien d'autorité inévitable du second sur le premier.
De son côté, le père, qui a l'avantage d'avoir vécu et connaît les écueils de la vie, a du mal à voir son autorité contestée. Il a du mal à accepter que le fils ne pense pas toujours comme lui et lui échappe, devienne autonome.
Ce thème de la filiation est celui du dernier roman de Harold Cobert. L'auteur rappelle fort opportunément qu'elle a beaucoup d'importance dans l'apprentissage de la vie d'homme et que le temps file et ne se rattrape pas toujours.
Christian Noème est né juste après guerre, le 17 février 1946. Son père, Marcel, était cordonnier mais avait des ambitions. Sa
mère Geneviève, coiffeuse de son métier, "était de ces jeunes filles qui tombent enceintes comme d'autres attrappent un mauvais rhume". C'est pourquoi Marcel
l'a épousée, contraint et forcé quand elle attendait Christian. Il l'a fait quitter Paris pour Antony, en banlieue, mais elle l'aurait alors suivi jusqu'au bout du monde...
Marcel, pendant sept ans, va peu à peu faire de la vie de Geneviève un enfer. Il va la battre, ne lui faire l'amour qu'épisodiquement et sauvagement, avec pour conséquence de lui faire deux autres enfants. Puis il va lui couper de plus en plus les vivres, avant de mettre les voiles pour convoler avec une héritière, et l'abandonner à son triste sort de devoir élever trois petits, sans pouvoir exercer son ancien métier faute de l'avoir pratiqué pendant des d'années...
Très jeune, tout jeunot même, tandis que sa mère travaille à l'usine, Christian fait des petits boulots pour gagner quelques sous et y excèle, tout en poursuivant de brillantes études. Il est particulièrement brillant en mathématiques et physique. Il obtient une bourse pour terminer à Paris ses études secondaires au lycée Henri-IV, puis y préparer les concours des grandes écoles.
A Paris, alors qu'il est en classe préparatoire, il fait la connaissance d'une bande d'étudiants en droit bordelais avec lesquels il s'initie au rock'n'roll, dont le démon s'empare littéralement de lui. Au point de devenir le disc-jockey de l'association que créent ces joyeux lurons pour animer des soirées du Tout-Paris underground. Au point d'abandonner l'avenir élitiste qui était tout tracé pour lui, mais qui n'était pas vraiment fait pour ce rebelle.
Quand ses amis bordelais, une fois terminées leurs études, rentrent dans le rang, après avoir mis fin à la société (qui a pris la suite de leur association et a organisé des soirées dans des grandes villes de France), Christian, devenu un célèbre DJ, rejoint les rangs du magazine Best, en anime les soirées, y écrit des papiers et donne des cours particuliers de maths et de physique pour arrondir ses fins de mois, titulaire qu'il est d'une licence de maths par équivalence.
Un ancien de la bande lui fait signe un jour d'août 1970 et lui demande de venir passer un week-end au bassin d'Arcachon. L'un des anciens lurons de Paris a ouvert, à Andernos, une boîte de nuit, la Corvette. Christian qui devait animer trois soirées va finalement y passer la saison, après avoir fait la connaissance de Lorraine, dont il ravit le coeur en évinçant son médiocre, mais baraqué, petit ami en titre, après une bagarre homérique.
La vie est un éternel recommencement...Enfin, presque. Lorraine tombe enceinte. Christian l'épouse et, le 27 juillet 1972, naît le petit Victor. La différence est que Christian est content de cet heureux événement au contraire de son propre père dans des circonstances similaires... Lorraine reprend ses études pour devenir avocate. Christian passe le CAPES pour devenir enseignant. Il faut bien souvent renoncer à ce qui fait le sens de votre vie lorsque l'enfant paraît. Victor, cependant, va se révéler être un élément perturbateur au-delà de l'imaginable...
Le roman commence par cinq courts chapitres, Signe de croix. Adolescent de 17 ans Victor est avec son père à Cap-Ferret pour les vacances et est une véritable... croix pour lui. Puis le narrateur reconstitue la vie de Christian, Au nom du père. Puis celle de Victor, Du fils. Enfin il revient au tout début en parcourant le temps des cinq chapitres du début en sens inverse, Signe de croix (suite et fin). La fin est initulée Amen...
Au cours du récit, par incises, quelques années après ses 17 ans au Cap-Ferret, Victor raconte son séjour au Canada avec son père, venu pour l'aider à s'y installer avant la rentrée universitaire...
Le récit est émaillé de dialogues criants de vérité. On y retrouve le langage parler des jeunes et des moins jeunes de notre
époque, sans fioritures, truffé d'expressions devenues usuelles. Ce qui n'a peut-être pas pour vertu d'être artificiellement littéraire, mais de nous rendre familiers et proches les personnages
de ce roman, qui nous emmène en vacances à plusieurs reprises au Bassin et au bord de l'océan, dont les vagues sont propices au surf.
Au thème de la filiation est lié immanquablement celui du pardon. Dans le Notre Père, prière que Jésus a donné à ses disciples, il est question du pardon des offenses, demandé au Père comme il est accordé par les demandeurs à tous ceux qui les offensent. Ce n'est pas pour rien que Harold Cobert a mis en exergue de son livre cette citation d'Oscar Wilde:
"Les enfants commencent par aimer leurs parents. En grandissant, ils les jugent. Il arrive qu'ils leur pardonnent."
Il arrive aussi qu'ils ne leur pardonnent pas. C'est le cas de Christian qui ne pardonne pas à son père Marcel ce qu'il a fait à sa mère Geneviève et le chassera de son existence les deux fois où il tentera d'y réapparaître.
Victor pardonnera-t-il à son père Christian d'avoir trompé sa mère après 12 ans de mariage, après qu'il s'en est éloigné progressivement, laissant s'installer dans leur couple des non-dits, notamment sur le parti-pris d'indulgence de Lorraine pour Victor, sapant par là-même son autorité, et sur son refus de pardonner à son propre père?
Surtout, Victor aura-t-il le temps de demander à son père pardon pour ses propres offenses à son égard, insconscient de tous les sacrifices qu'il a consentis pour lui?
Susanna Tamaro, citée également en exergue du livre par Harold Cobert, dit fort justement:
"Les morts pèsent moins par leur absence que par ce qui - entre eux et nous - n'a pas été dit."
D'où l'importance dans les relations humaines de ne pas se livrer inconsidérément à la procrastination...
Francis Richard
Au nom du père, du fils et du rock'n'roll, Harold Cobert, 256 pages, Editions Héloïse d'Ormesson