Éditeur : Livre de poche
Date de parution :2013
Pages :350.
Prix :6,60 €.
Ce qu'en dit l'éditeur
Un titre léger et lumineux qui annonce une histoire d’amour drôle ou grinçante, tendre ou grave, fascinante et inoubliable, composée par un écrivain de vingt-six ans. C’est un conte de l’époque du jazz et de la science-fiction, à la fois comique et poignant, heureux et tragique, féerique et déchirant.
Dans cette œuvre d’une modernité insolente, livre culte depuis plus de cinquante ans, Duke Ellington croise le dessin animé, Sartre devient une marionnette burlesque, la mort prend la forme d’un nénuphar, le cauchemar va jusqu’au bout du désespoir.
Mais seules deux choses demeurent éternelles et triomphantes : le bonheur ineffable de l’amour absolu et la musique des Noirs américains…
S'il fallait désigner l'œuvre la plus sadomasochiste du monde, la majorité s'accorderait sans doute sur l'un des romans érotiques du Marquis de Sade ou, ma foi peut-être, sur Les Onze mille verges d'Apollinaire.
À mon sens toutefois, la palme revient à L’Écume des jours qui, certes, ne traite pas directement du plaisir ou de la douleur corporels mais saisit, en fin de compte, l'essence même du sadomasochisme à savoir la frontière ténue entre souffrance et jouissance. Boris Vian parvient en effet à générer la douleur chez son lecteur, une douleur assez inouïe d'ailleurs, mais également – et aussi étrange que cela puisse paraître – la réjouissance. Le cœur ploie sous le poids de la désolation et du délice. Désolation face à cette tragédie annoncée. Délice face ce chef d'œuvre inopiné.Inopiné car L’Écume des jours est une montagne russe littérairequi nécessite un lâcher prise total. Chaque page est un dénivelé constant entre peur et amusement. Chaque chapitre, un wagon de fantaisies qui se meut sur des rails d'humour et de cynisme. C'est une œuvre qui, au gré de mille et un loopings, nous transporte vers un monde où le verre cassé repousse, où les armes sont fabriquées avec de la chaleur humaine, où, enfin, les souris mâchent du chewing-gum pour chat et travaillent en paix avec le cuisinier.
Cet univers fantasque et surréaliste – onirique ? – induit curieusement une intrigue, elle, réaliste, celle d'un (presque) chassé-croisé sentimental : Colin, jeune homme riche n'ayant jamais travaillé, tombe éperdument amoureux de Chloé (et vice versa) sous les yeux de Nicolas, le cuisinier, danseur, chauffeur (liste non exhaustive). Alise, la cousine de ce denier, s'éprend quant à elle de Chick, un ami de Colin passionné par Jean-Sol Partre (contrepèterie qui renvoie à Jean-Paul Sartre). Isis enfin est sous le charme de Nicolas. Ça va, vous suivez toujours ?
Bien. Je peux donc désormais vous confier mon unique grief contre L’Écume des jours à savoir lesdits personnages. J'ai en effet trouvé la bande à Colin lisse (mention spéciale pour le personnage de Chloé). Après maintes réflexions, je pense toutefois que ces frêles caricatures résultent de la volonté de Boris Vian de ne pas alambiquer davantage encore son œuvre, toujours est-il que la complexologue (néologisme de ma composition) que je suis aurait préféré une psychologie plus approfondie. En outre, j'ai trouvé Colin antipathique et extrêmement moralisateur (sur la question du mariage notamment, dont vous l'aurez sans doute compris, je ne suis pas une grande fan).Fort heureusement, ce petit bémol est compensé par d'innombrables réussites, à commencer par la plume métaphorique de Boris Vian qui, tel Mickey dans Fantasia (chacun ses références je vous prie !) donne vie aux objets. Dans ces courts chapitres, l'auteur ne se contente toutefois pas d'inventer – réinventer – un monde, il renouvelle également le langage au gré de mots-valises (parmi lesquels, le plus connu : "pianocktail") et autres néologismes ("agents d'armes" pour gendarmes). Enfin, c'est une œuvre truffée de références musicales (rappelons que Monsieur Vian était un féru de jazz) et littéraires extrêmement enrichissantes – je remercie au passage Le Livre de Poche pour ces notes de bas de page passionnantes.
Autre point fort : l'humour ! Tantôt absurde, tantôt aigre, il s'appuie là encore sur le vocabulaire avec un nombre incommensurable de jeux de mots et de parodies, dont celle de Simone de Beauvoir (alias la duchesse de Bovouard) et Jean-Paul Sartre (ici auteur du Paradoxe sur le Dégueulis en référence à La Nausée) qu'il érige en superstar inconsistante. La scène où ses fans usent de divers stratagèmes (arriver par les égouts, dans un corbillard etc) pour assister à la conférence où il présente des "échantillons de vomi empaillé" m'a notamment valu un beau fou rire. Boris Vian raille donc non seulement les titres de ses œuvres mais aussi son statut.Ne vous méprenez pas toutefois. En dépit de ces nombreuses plaisanteries, L’Écume des jours n'est pas un livre gai. Sans doute influencé par un contexte historique désillusionné (l'après-guerre), c'est au contraire un roman qui reflète un profond désarroi. Un roman désespéré – j'oserais même un roman dépressif. Boris Vian y dépeint un bonheur qui se flétrit inéluctablement. Un espoir vain. L'élément qui vient enrayer la mécanique de ce joli monde à travers le personnage de Chloé fait en outre écho à l'auteur lui-même, atteint d'un rhumatisme cardiaque – qui lui sera d'ailleurs fatal – et l'on peut ainsi raisonnablement supposer que cette déroute intérieure l'a toujours poursuivie.
Du reste, l'un des questionnements majeurs du livre est assez significativement lié au cœur. Dans L’Écume des jours, Boris Vian interroge en effet les addictions passionnelles et plus spécifiquement leur caractère destructeur. L'auteur livre également une critique féroce des institutions religieuses, présentées comme cupides et inhumaines, et du monde du travail, évoqué ici de manière tout à fait intrigante : les ouvriers gagnent par exemple autant voire plus que les ingénieurs. Sa conception est plus largement que le travail est intimement lié à un conditionnement et préservé par habitude.
Mon passage préféré abonde d'ailleurs dans ce sens puisqu'il met en subtilement en lumière la futilité du travail : "- Qu'est-ce que vous faites dans la vie, vous ? demanda le professeur. - J'apprends des choses, dit Colin. Et j'aime Chloé." Boris Vian propose donc ici un idéal de vie contestable certes mais qui, personnellement, m'a conquise. Vivre d'amour et de connaissances... What else ?
En résumé, une romance formidable, même si tragique, car tour à tour décalée, poétique, exubérante et grinçante. Une œuvre intemporelle enfin. Un classique, tout simplement.
Les petits plus - L'adaptation éponyme de L’Écume des jours sort ce mercredi 24 avril au cinéma et est signée (pour mon plus grand plaisir !) Michel Gondry, seul réalisateur susceptible d'adapter correctement ce petit bijou selon moi.- Peut-être l'ignorez-vous mais ce cher Boris Vian était un fin gourmet. Il tenait notamment en haute estime le cuisinier Jules Gouffé, réputé pour avoir écrit un Livre de cuisine en 1867. Cet ouvrage a ainsi inspiré nombre de parodies de mets ("abricots fourrés aux dattes et aux pruneaux dans un sirop onctueux et caramélisé sur le dessus") et de recettes de cuisine ("andouillon des îles au porto musqué") présentes dans L’Écume des jours.
- Deezer permet de tester le pianocktail (à l'envers du coup) : pour ce faire, il vous suffit de choisir un alcool, un jus de fruit et un aromate et vous obtiendrez un cocktail musical (à tendance jazzy, évidemment). N'hésitez pas si :
- vous aimez la plume métaphorique de Mathias Malzieu (vous allez adorer celle de Boris Vian !) ;
- la critique du monde du travail ou encore des ecclésiastique vous intéresse ;
- vous désirez élargir vos connaissances en jazz ;
- l'univers surréaliste vous dérange profondément (vous risquez de perdre pied) ;
- vous recherchez une lecture optimiste ;