Le 17 mai dernier a eu lieu la Journée mondiale contre l'homophobie. Le Monde nous apprend pour l'occasion que "la haine envers les homosexuels reste bien vivace en France". La date du 17 mai n'a pas été choisie au hasard : elle commémore la suppression, en 1990, de l'homosexualité de la liste des maladies mentales dressée par l'Organisation mondiale de la santé.
Les membres du groupe surréaliste étaient pour la plupart homophobes : l'amour fou, d'accord, mais seulement pour les couples hétéros. A partir de 1928, les surréalistes organisent plusieurs séances de "recherches sur la sexualité". Au cours de l'une d'elles, Prévert, que l'on n'a pourtant pas interrogé, se range du côté de Queneau :
Péret - Que penses-tu de la pédérastie ?
Queneau - A quel point de vue ? Moral ?
Péret - Soit.
Queneau - Du moment que deux hommes s’aiment, je n’ai à faire aucune objection morale à leurs rapports physiologiques.
Protestations de Breton, de Péret et d’Unik.
[...]
Prévert.- Je suis d’accord avec Queneau.
Queneau - Je constate qu’il existe chez les surréalistes un singulier préjugé contre la pédérastie.
Breton - J’accuse les pédérastes de proposer à la tolérance humaine un déficit mental et moral qui tend à s’ériger en système et à paralyser toutes les entreprises que je respecte.
(on le voit Breton était un homme ouvert, tolérant, généreux. Comme le disait Masson : "c’est un peu bizarre de penser qu’un homme qui attachait son nom à une entreprise de subversion totale, comme il disait, ait pu tout de même épouser des préjugés comme des préjugés sexuels")
En janvier 1962, le bulletin paroissial de la paroisse Saint-Roch, à Paris, publie le poème Déjeuner du matin, en modifiant le titre pour l'intituler Mon Mari. Une petite phrase moralisatrice accompagne le poème : "ce qui a pu se passer en 1961 ne se passera plus en 1962".
Il a mis le café
Dans la tasse
Il a mis le lait
Dans la tasse de café
Il a mis le sucre
Dans le café au lait
Avec la petite cuillère
Il a tourné
Il a bu le café au lait
Et il a reposé la tasse
Sans me parler
Il a allumé
Une cigarette
Il a fait des ronds
Avec la fumée
Il a mis les cendres
Dans le cendrier
Sans me parler
Sans me regarder
Il s’est levé
Il a mis
Son chapeau sur sa tête
Il a mis son manteau de pluie
Parce qu’il pleuvait
Et il est parti
Sous la pluie
Sans une parole
Sans me regarder
Et moi j’ai pris
Ma tête dans ma main
Et j’ai pleuré
Évidemment, cette récupération religieuse ne fut pas du goût de Prévert, qui le fit savoir à l'abbé Viénot, curé de la paroisse St-Roch :
.
"Monsieur,
J'aimerais savoir de quel droit divin ou autre vous vous êtes permis, dans votre bulletin paroissial, Le Messsager, de reproduire en changeant le titre - afin de donner le change - un texte signé de moi et paru ailleurs depuis fort longtemps.
En administrant ainsi, typographiquement, le sacrement du mariage à deux êtres d'encre, de papier et - comment pourriez-vous le savoir ? - peut-être en même temps de présence réelle, de chair et de sang, n'avez-vous pas agi avec une inconcevable légèreté ?
Qui vous dit que vous n'avez pas imprudemment travesti deux innocents et charmants homosexuels en victimes du devoir conjugal ?
Si vous vouliez vous donner la peine de relire attentivement ce texte, vous vous trouveriez dans l'obligatoin de reconnaître que rien ne vous permet de rejeter cette hasardeuse hypothèse."
Et oui, les poèmes de Prévert sont aussi pour les amoureux homosexuel(le)s. Et pour célèbrer cette journée contre l'homophobie, avec un peu de retard :
Les enfants qui s'aiment s'embrassent debout contre les portes de la nuit
Et les passants qui passent les désignent du doigt
Mais les enfant qui s'aiment ne sont là pour personne
Et c'est seulement leur ombre qui tremble dans la nuit,
Excitant la rage des passants
Leur rage, leur mépris, leur rire et leur envie
Les enfants qui s'aiment ne sont là pour personne
Ils sont ailleurs bien plus loin que la nuit
Bien plus haut que le jour
Dans l'éblouissante clarté de leur premier amour.