C’est Alain Finkielkraut qui m’a fait lire Hannah Arendt (billet
précédent). J’avais
été frappé par une discussion qu’il a eue avec Michel Serres. Et, comme il
ne peut pas faire une phrase sans citer Hannah Arendt, j’ai voulu connaître
celle qui l’inspirait. Voici des
questions que je me suis posées en lisant Hannah Arendt :
La philosophie comme
rationalisation ?
Depuis que je m’intéresse à la philosophie, elle me paraît une
rationalisation des conditions de vie de ceux qui la conçoivent. N’est-ce pas
le cas pour Hannah Arendt ? Ne crée-t-elle pas une théorie à l’image de la
communauté d’intellectuels dans laquelle elle a vécu en Allemagne ?
Héritage de la pensée
allemande ?
L’Allemagne
d’alors refuse le progrès et les Lumières. Et Heidegger, le maître d’Hannah
Arendt, recherche
l’âge d’or dans une Grèce fantasmée, dont l’Allemagne serait l’héritière.
Apologie d'une élite irresponsable ?
Si je lis correctement, seul un petit nombre peut porter le
titre d’homme. Le reste n’est que bêtes de somme. Et cette élite me paraît
avoir tendance à l’irresponsabilité. Les conséquences de son action ne sont-elles
pas imprévisibles ? Face à cette imprévisibilité Hannah Arendt parle de « pardon »
et de « promesse ». Le pardon (comme celui qu’elle a donné à
Heidegger ?) casse apparemment la chaîne des conséquences que pourraient
avoir, pour son auteur, un acte malencontreux. Quant à la promesse, il ne
semble pas que ce soit un engagement de limiter les externalités négatives de
ses actes, une forme de responsabilité, mais un pacte entre élus, qui les
rendent solidaires. Ainsi, peut-être, ne peuvent-ils pas se plaindre de ce qu’engendrent
leurs actes ? Quant au reste de l’humanité, bestiale, elle n’a rien à dire ?
Justification du
néoconservatisme américain ?
J’ai lu que les élèves d’Heidegger, notamment Léo Strauss,
ont été les maîtres à penser des neocon
américains. L’œuvre d’Hannah Arendt dit effectivement, comme le neocon, qu’il
faut croire en la vérité qui est en nous, qu’il faut nier le relativisme.
Je ne suis pas certain qu’elle ait prévu les conséquences de
ses idées. Car ce que nous avons au fond de nous est différent d’une personne à
l’autre (il est conditionné par notre environnement social). C’est donc la recette
de l’intolérance et de l’affrontement. D’ailleurs, le Dieu du neocon n’était-il
pas le marché, l’ennemi d’Hannah Arendt ?
Et si la condition de
l’être humain était le progrès ?
Avant de lire Hannah Arendt, je n’étais pas loin d’être d’accord
avec elle. L’espèce
menaçait d’asservir l’homme. J’en suis moins sûr maintenant.
La Grèce à laquelle fait référence Hannah Arendt ne me
semble pas avoir existé. Au mieux elle correspond à un bref épisode au temps de
Périclès. Ce fut la victoire de l’individualisme et de la raison, le chaos, et
l’amorce du déclin pour Athènes. D’où
la réaction socialiste de Socrate et Platon. Je me demande, d’ailleurs, si
notre histoire n’est pas là. Des moments de révolte individualiste, qui menace
d’extinction le groupe. Puis la réaction de celui-ci, qui remet l’individu au
pas.
Je me demande aussi si la pensée allemande d’avant guerre et
celle d’Hannah Arendt n’expriment pas une forme de haine de l’humanité. En
effet, il me semble, avec
les Chinois, que ce que nous appelons « progrès » n’est autre qu’une
évolution naturelle et inéluctable. Pour autant ce mouvement ne contredit pas
ce qui fait l’originalité de l’homme selon Hannah Arendt. En effet, comme un
nageur dans un courant, l’homme doit utiliser ses capacités « supérieures »
pour se diriger, et tirer parti de la force qui l’entraîne.