Jamais un livre n'a été autant dans l'actualité. En mars 2013, Eric Fournier publiait un ouvrage sur les usages politiques de la Commune (La Commune n'est pas morte, Libertalia).
Le lundi 8 avril 2013, la présidence de l'Assemblée nationale a enregistré une proposition de résolution visant à rendre justice aux victimes de la répression de la Commune de Paris de 1871.
Pourquoi une "résolution" et pas une "loi" ?
Cette possibilité a été introduite par l’article 34-1 de la loi constitutionnelle n° 2008-724 du 23 juillet 2008 qui définit la résolution comme un acte par lequel l’Assemblée émet un avis sur une question déterminée. Il s'agit en quelque sorte d'un moyen d'expression alternatif laissé à l'Assemblée nationale lorsque le recours à une loi n'est pas jugé nécessaire. Le texte est cependant examiné, débattu et voté en séance par les députés.
L'utilisation de cette voie juridique s'explique par une histoire éminemment liée aux questions mémorielles qui est résumée dans le rapport d'information sur les questions mémorielles remis en 2008.
Il est en effet précisé dans ce document que c'est sous la Cinquième République que les assemblées parlementaires ont perdu une grande partie de leurs pouvoirs mémoriels, comme l’organisation des obsèques et funérailles nationales ou les transferts au Panthéon. Elles perdent aussi "le pouvoir de voter des résolutions, pouvoir dont elles avaient précédemment usé en matière d’hommage et de commémoration". Or, toujours selon ce rapport, l'émergence des lois mémorielles s'expliquerait par cette limitation des pouvoirs du Parlement dans le domaine mémoriel que les députés auraient décidé de contourner par l'usage de textes plus prescriptifs. Pierre Nora ne s'y était d'ailleurs pas trompé en 2008 lorsqu'on lui avait demandé son avis sur la loi du 29 janvier 2001 relative à la reconnaissance du génocide arménien : "C’est une résolution, pas une loi" ! La forme purement déclarative de ce texte ne laisse en effet guère de doute.
C'est donc en partie pour des motifs mémoriels que la voie juridique des résolutions a été rétablie en 2008. Dans l'esprit du législateur, cette méthode permet de "préserver l'expression du Parlement sur le passé" sans recourir au langage pénal, et donc sans entraver la liberté d'opinion et d'expression des citoyens, et plus précisément sans menacer le travail des historiens.
Des mémoires politiques à défaut d'une politique des mémoires
S'il n'est donc théoriquement plus possible aujourd'hui de dénoncer l'immixtion du pouvoir législatif dans la science historique, on peut néanmoins s'interroger sur cette farouche volonté du pouvoir politique à se prononcer solennellement sur les questions historiques et mémorielles. A l'exception de quelques sujets idéologiquement sensibles, on s'aperçoit d'ailleurs que dans ce domaine, les différents partis politiques se rejoignent.
Cette tendance irrépressible du Parlement à se prononcer ponctuellement sur des sujets historiques est l'une des conséquences les plus évidentes de l'inflation mémorielle qui touche nos sociétés occidentales. En votant régulièrement de tels textes, le pouvoir législatif n'entraîne aucune action concrète (soutien à la recherche historique, éventuel dédommagement des victimes, lutte contre le négationnisme...). Il se contente seulement de répondre à une revendication mémorielle suffisamment cohérente pour faire entendre sa voix dans l'hémicycle. Du point de vue des groupes mémoriels qui portent ces demandes, le vote d'une résolution est d'ailleurs vu comme une étape importante d'une construction mémorielle parmi d'autres (constitution en association, organisation de commémorations locales, puis nationales, relais dans des discours politiques locaux et nationaux, construction d'un lieu de mémoire, etc.).
Le vote d'une résolution mémorielle à l'Assemblée nationale dépend donc énormément du contexte politique (majorité plus ou moins favorable ou proximité des élections législatives), voire géopolitique (volonté de faire passer un message à la Turquie concernant le génocide des Arméniens) et mémoriel (cheminement suffisamment abouti d'une revendication pour la présenter aux députés).
Rares sont cependant les députés qui essaient de prendre du recul sur cet acte législatif mémoriel. On pourrait pourtant s'interroger sur l'utilité d'un tel vote au-delà de la simple réponse (souvent électoraliste) à une revendication. A quoi cela va-t-il servir ? Suis-je dans mon rôle de législateur pour m'exprimer ainsi sur l'histoire ? Suis-je bien certain de répondre à une problématique nationale et de ne pas être l'objet de pressions communautaires ? Telles sont les questions que nous aimerions être débattues à l'occasion de l'étude prochaine de ce texte à l'Assemblée nationale et qui permettraient peut-être de fixer les premières bases de ce qui pourraient devenir une politique des mémoires cohérente.
Pourquoi rendre justice aux victimes de la répression de la Commune de Paris de 1871 ?
L'exposé des motifs avancés par les députés pour défendre cette résolution relève de la rhétorique émotionnelle présente dès la première phrase : "L’histoire peut faire son œuvre sans que justice soit rendue à ses victimes".
Si l'on retire le vernis d'émotion, il reste des faits assez simples : l'Assemblée nationale souhaite réhabiliter des hommes, des femmes et des enfants qui ont été tués lors de la répression de la Commune ou condamnés par la justice militaire à la suite de cette insurrection.
Or, cette décision pose plusieurs questions :
1. L'Assemblée nationale (pouvoir législatif) peut-elle remettre en cause, même plusieurs dizaines d'années plus tard, la décision d'un tribunal (pouvoir judiciaire), et en l'occurrence ici de conseils de guerre sans faire une entorse à l'indispensable séparation des pouvoirs de notre démocratie ?
2. Quelles est l'utilité d'une telle décision en 2013 alors que l'Assemblée nationale a déjà voté en mars 1879 une loi d'amnistie partielle, puis le 11 juillet 1880 une loi d'amnistie générale concernant ces condamnations ?
Les rédacteurs de cette proposition semblent être conscients de ces contradictions et c'est pourquoi ils ont choisi la voie de la résolution plutôt que la réhabilitation judiciaire ou bien la révision qui nécessitent que la justice se saisisse du dossier.
Les possibilités d'une grâce ou d'une nouvelle amnistie ont également été envisagées par les législateurs qui les ont repoussées car elles ne répondent pas totalement aux objectifs mémoriels des porteurs de cette revendication. il ne s'agit pas seulement en effet d'annuler l'effet de condamnations individuelles (ce qui a déjà été accordée en 1879 et 1880), mais plutôt de rendre collectivement hommage à un groupe persécuté pour ses idées et son engagement en 1871, mais que la lecture contemporaine de l'histoire place désormais au rang de martyr.
On comprend donc assez clairement que cette proposition de loi répond à des objectifs purement idéologiques et politiques. C'est ce qui explique peut-être aussi qu'une telle résolution soit possible alors que la demande d'une réhabilitation des fusillés pour l'exemple (pourtant soutenue par plusieurs associations) patine depuis plusieurs années dans les couloirs de l'Assemblée nationale.
Eric Fournier peut donc dès à présent se pencher sur l'écriture d'un nouveau chapitre en prévision d'une réédition de son ouvrage.
PS : L'une des conséquences du vote de cette résolution sera peut-être la multiplication d'actes similaires à ceux que nous mentionnions en septembre 2009 dans les rues de Dijon où un "boulevard Thiers" avait été rebaptisé "boulevard Duval" (fin de l'article).