Des carottes à 10.000 euros le kilo, un trésor de glace amassé à Grenoble !
De précieuses carottes de glace provenant d'Antarctique, des Andes, du Groenland... dont l'âge remonte jusqu'à 800.000 ans, côtoient des lots d'épaule de porc ou des fûts de fruits de la passion dans un entrepôt frigorifique alimentaire près de Grenoble.
Ces échantillons représentent "une richesse incomparable", affirme Michel Fily, directeur du Laboratoire de glaciologie et de géophysique de l'environnement (LGGE), qui célèbre cette année son cinquantenaire à Grenoble.
Les carottes du LGGE - quelque 15 km de cylindres de glace, soit près de 15.000 échantillons - sont emmagasinées par - 25° Celsius dans deux salles de 200 m2 de l'entrepôt situé au Fontanil (Isère).
Ce trésor inestimable - l'extraction d'un kilo de carottes sur le site de Dome C en Antarctique, dans le programme européen Epica, a coûté 10.000 euros - est mis à la disposition des chercheurs pour l'analyse de la glace et des éléments (bulles de gaz, particules...) qu'elle renferme.
Engoncé dans un anorak, Jérôme Chapellaz, directeur adjoint du LGGE, prend avec soin dans ses mains un cylindre de glace transparente de 1m de long : "Elle est d'excellente qualité, limpide", se réjouit-il.
De petites annotations rappellent que cette glace se trouvait à 1.898 m de profondeur, datant donc de 50.000 ans, et a été obtenue au forage d'Epica (European project for ice coring in Antarctica), qui a atteint 3.270 m.
Non loin de là, des caisses portent la mention "grip 93 ger de Kangerlussuaq" (Groënland), d'autres contiennent des échantillons provenant des Alpes, d'autres encore, des Andes.
Dans une seconde salle, une carotte d'un blanc laiteux a été récupérée à une profondeur de 2.134 m à la base russe antarctique de Vostok. Une couche annuelle de cette neige, tombée il y a 220.000 ans, tient en 5 mm d'épaisseur.
Les tronçons sont protégés, placés dans une gaine plastique et dans des conteneurs isothermes pour leur transport du lieu d'extraction vers Le Fontanil, puis jusqu'aux centres de recherches.
A quelques kilomètres du centre de stockage, le LGGE dispose à son siège de Saint-Martin-d'Hères (Isère) de ses propres laboratoires, dont deux salles blanches, pour extraire des carottes toutes les informations qu'elles peuvent fournir sur la glace elle-même (propriétés physiques, chimie...) et sur l'atmosphère du passé (gaz, poussières, métaux lourds, etc.).
Différents traitements sont appliqués, comme le passage dans des machines de déformation pour les études mécaniques, le broyage pour l'étude de la composition atmosphérique du passé, la fonte pour la chimie...
Par exemple, l'analyse des minuscules bulles d'air enfermées dans la glace permettent d'identifier les composants de l'atmosphère du passé tandis que la texture et la taille des cristaux donnent des enseignements sur le climat.
Les chercheurs du LGGE ont ainsi été les premiers à établir, dès 1980, une corrélation entre la quantité de gaz carbonique dans l'atmosphère et le réchauffement, ou à lier (1987) l'évolution du climat et les gaz à effet de serre.
Unité du Centre national de la recherche scientifique (CNRS), le LGGE traite ainsi toute la chaîne de l'étude des glaces de la planète, du carottage à la conservation et à l'analyse. Un outil exceptionnel qui pourrait devenir un "instrument national" unique dédié à la glaciologie, estime son directeur, Michel Fily.
Guy CLAVEL
AFP