Lecteur boulimique ou occasionnel, on adore s’évader par la fenêtre d’un livre ouvert. On plonge dans des histoires qui nous emportent et qu’on engloutit comme une friandise. On bûche sur des œuvres difficiles au service d’une idée. Des livres « intellectuels ». On s’ennuie dans des romans qu’on n’ose pas abandonner. Puis soudain, un livre nous pousse au fond de notre fauteuil. Il parle, nous semble-t-il, de l’essence des choses, de la condition humaine, dans un langage qui nous rejoint. Des comme ça, il n’y en a pas tous les ans, juste un de temps en temps. Juste quelques-uns au cours de toute une vie. Le sermon sur la chute de Rome m’a fait cet effet, celui d’un livre rare, important.
L’action se passe dans un village de Corse dont le petit bar sert de pivot aux principaux protagonistes, deux jeunes hommes, des enfants du pays, qui abandonnent leurs études en philosophie à Paris pour reprendre la gestion du modeste établissement malmené par ses précédents administrateurs. Leur succès spectaculaire finira cependant par tourner au cauchemar. L’univers qu’ils auront voulu y créer s’effondrera, comme tous ceux créés de main d’homme.
Avec une concision remarquable — à peine deux cents pages — , Ferrari nous fait survoler tout un siècle déchiré par de terribles conflits (les deux guerres mondiales, la guerre d’Indochine, la guerre d’Algérie) dont chacun sonne le glas d’un monde pour les peuples, les milliers de victimes, les survivants. Il en sera d’ailleurs beaucoup question, des mondes, de ceux qui disparaissent, de ceux qui structurent la préhension sur la vie, de ceux dont on rêve et qui demeurent à jamais inaccessibles, de ceux qui se scindent irrémédiablement. Tous ont en commun d’être appelés à disparaître tel que l’enseigne Saint Augustin aux fidèles éplorés par la chute de Rome.
Le récit alterne entre la jeunesse de Marcel et celle de ses petits-enfants, Aurélie et Mathieu, donnant vie à plusieurs personnages d’une grande finesse et d’une grande complexité.
Le sermon est une histoire captivante, profonde, magnifiquement écrite, miroir de l’implacabilité du destin, de la difficulté de la vie humaine qui sans cesse repousse sur les ruines des mondes périssables qui la fondent, une méditation sur le thème de la fin et des origines.
Le sermon sur la chute de Rome s’est mérité le Prix Goncourt 2012.
Pour entendre Ferrari parler de son livre visionnez cette entrevue.
Jérôme Ferrari, Le sermon sur la chute de Rome, Arles, 2012, Actes Sud, 202 pages