Made in Douala Part 2: (Le secteur de) La Beauté dans tous ses états (ou presque).

Publié le 19 avril 2013 par Maybachcarter

Je vous l’ai dit dans mon précédent post, nous nous sommes rendus au Cameroun pour une première étude de terrain dans le cadre d’un nouveau projet sur lequel je travaille, dans le secteur des Cosmétiques/Soins/Beauté bla bla bla.

1ère chose à remarquer: Dans ce post, j’avais évoqué la progressive formalisation des espaces de vente à Lagos. Il faut croire que la même chose se produit à Douala. J’ai rarement vu autant de vitrines décentes. Attention, je ne dis pas qu’avant il n’y avait pas de magasins, mais c’était principalement le fait de grandes enseignes ou magasins de standing. Or cette fois, du petit revendeur de vêtements aux parfums, j’ai noté un véritable effort de présentation dans l’ensemble voire, des notions de merchandising plus ou moins bien explicitées.

Comment expliquer cela ? Il y a plusieurs hypothèses. On peut, par exemple, penser que l’avantage concurrentiel au Cameroun n’est plus exclusivement lié au prix d’un article/service. Il est toujours prioritaire, mais ne suffit plus lorsqu’il y a une multitude d’acteurs sur le marché. On peut également supposer que l’idée de “consommACTEUR” n’est plus une illusion. L’acheteur moyen veut en avoir pour son argent, mais demande également que cela s’accompagne d’une certaine qualité de présentation ou autre. Dans un cas comme dans l’autre, nous sommes aux débuts de ce type de phénomène et mon deuxième point prouvera qu’il y a encore beaucoup de travail.

- “Qualité de service ? On mange ça ?“: Avec C., nous avons visité et testé une dizaine de salons de coiffure, instituts de beauté et autres parfumeries et le constat est sans appel: la relation-client est plus que déplorable.

Et ce n’est pas qu’une question de standing. Par exemple: je me suis rendue dans un salon de coiffure situé à Bonapriso (quartier a priori huppé) pour une manucure express. Ayant laissé tous mes vernis à Paris, je recherchais un vernis flashy à poser 1h avant un rendez-vous le soir même. Là, la coiffeuse me dit que le vernis rose que j’ai choisi coûte 5000 FCFA, mais que la pose de vernis coûte 2000 FCFA. Bien évidemment, tant qu’à faire, je choisis la pose. Tout se passe bien jusqu’à ce que je remarque qu’elle a glissé le vernis dans mon sac, puis facturé 1000 FCFA de plus la seconde couche de vernis (que je n’ai même pas demandé). Résultat des courses: je me retrouve à devoir payer 8000 FCFA au lieu des 2000 FCFA annoncés, soit un prix par 4. Inadmissible, surtout que j’avais affaire à la gérante. Et je précise qu’au passage, à Douala, demander la carte des prestations avec les prix équivaut à demander de la neige par 35 degrés… vous avez compris.

Autre exemple: je me rends chez EVAKA, qui est sûrement le lieu de distribution de cosmétiques le plus professionnel que j’ai pu visiter (avec à disposition des testeurs, une maquilleuse etc.. bref, un mini-Sephora).

Il se trouve que j’adore “Jaïpur” de Boucheron (le parfum Homme qui me rend complètement chèvre) et qu’il y a quelques mois, j’ai voulu l’acheter mais une vendeuse Sephora m’a dit que Boucheron avait cessé la production de ce parfum depuis. Quelle ne fût donc pas ma SURPRISE de voir des coffrets Jaïpur dans les rayons d’EVAKA. Du faux ? Dans un tel endroit ? Je ne dis rien mais je reste perplexe.

Pendant que je continue ma visite, je remarque qu’il y a une grande diversité de produits, et notamment un espace Black Up avec possibilité d’essayer les différentes teintes de fond de teint. Sympa. Voilà qu’une vendeuse m’approche pour me parler des réductions en cours. Je suis ravie de voir que la propriétaire des lieux ait essayé d’appliquer des méthodes de vente qui ont fait leurs preuves ailleurs, mais vraiment, les vendeuses, LES VENDEUSES ! Le ton nonchalant, la jeune femme me parle d’une offre “1 acheté, 1 offert” sur un produit situé à l’autre bout du magasin. Lorsque je lui fais répéter pour la 3ème fois le nom de la marque concernée, elle décide de m’inviter à aller voir le produit (ce qu’elle aurait dû commencer par faire). Le tout en trainant les pieds comme seule les camerounaises savent le faire (avec le bruit des babouches qui glissent sur le sol #SoAnnoying). Bref ! Nous voilà devant le rayon du fameux produit, une “huile naturelle” pour la peau. J’en profite pour lui demander si elle saurait quoi me recommander comme anti-taches (pas trop fort) pour peaux noires….ce à quoi, non seulement elle me répond “Quand on a des imperfections comme vous..”, mais en plus, elle me recommande un produit ECLAIRCISSANT. Non mais SUPER, quoi.

D’une part, quand on s’adresse à une cliente, on ne souligne pas aussi grossièrement son problème (elle le connait suffisamment). Perso, je m’en fous totalement de sa remarque maladroite, je pense juste aux autres clientes qui sont déjà passées par là. D’autre part, me recommander une crème bleaching alors que je demande un léger correcteur de teint ? Je m’arrête là, sinon j’aurais d’autres anecdotes, comme la gérante d’un espace cosmétiques qui a passé 10 minutes au téléphone à “faire du kongossa” (comprenez “raconter des gossips”) avec sa copine alors qu’elle nous voyait bien déambuler dans son magasin à la recherche de quelque chose. Je me suis finalement demandée si les commerçants se sont déjà posés la question de savoir quel manque à gagner la qualité de service représente ? Ou alors, est-ce aux consommatrices d’être plus exigeantes ? Non, parce que vraiment, on dirait que le client demande une faveur en entrant dans un magasin alors que cela devrait être le contraire. Pire, quand je posais des questions sur certains produits (dont la date d’expiration était clairement dépassée d’ailleurs), j’avais presque l’impression d’emmerder les vendeuses. Je vous emboîte le pas: je ne pense pas que ce soit un problème dû au fait que je sois une “expatriée”. Même les filles que j’ai rencontré lors de l’Apéro Beauté, et qui résident au Cameroun, se plaignaient de la même chose.

- Apéro Beauté: Que serait une étude de terrain sans un panel conso’ ? Pas grand chose ! Bon, ce n’était pas aussi formel que cela, mais je tenais à rencontrer des filles “dans le mouv” pour qu’elles me parlent de leurs besoins en matière de beauté et soins. Blogueuse, mannequin, danseuse ou jeune cadre d’entreprise, nous nous sommes retrouvées autour d’un verre (et quelques grignotages) pour papoter sur le sujet.

Après tout, j’ai quelques intuitions sur certaines choses mais je ne vis plus au Cameroun en continu depuis plus d’une dizaine d’années donc je ne peux qu’avoir un aperçu partiel du marché. Je suis d’ailleurs ravie de voir que ce genre de rassemblements entre filles commence à se mettre en place progressivement, comme l’événement “So Natural So Me” dédié au cheveu crépu qui a lieu début mai à Douala (voir ICI). Donc ! On a  bavardé, ri, échangé, ce fût super (et j’en profite pour remercier chacune des filles pour tout ce qu’elles nous ont apporté). Parmi les sujets de discussion, on a évoqué la tendance au blanchiment de peau et malheureusement, comme je l’avais pressenti, c’est un phénomène qui va en grandissant au Cameroun.

“BE WHITE”: Pendant notre tournée des lieux de vente, j’ai été presqu’écoeurée de voir des produits décapants PARTOUT ! La plupart du temps, ils sont mêmes en vitrine, avec des flèches indiquant qu’ils sont vendus à tarif préférentiel. “Be White”, “Là là Clair”, “White Now”, “SKIN WHITE”, “Clear Light”… Alors qu’il y a 10 ans, les noms de ces produits étaient plutôt transparents (Caribu, HT26..), maintenant c’est à qui à le nom le plus évocateur/Trash. Autre différence: il y a 10 ans, on les vendait discrètement, il fallait se cacher pour aller en acheter ou demander à une autre femme pratiquant le “maquillage” l’adresse de son fournisseur. Aujourd’hui, se blanchir la peau est un marqueur social au même titre que les perruques lacefront ou le (vrai ou faux) sac CHANEL. Il faut dire que se décaper comprend l’achat de la crème visage, celle du corps, le sérum et l’huile pour les endroits difficiles (genoux, coudes, doigts). Même des magasins respectables comme EVAKA  ou MICHELLE’S en vendent des gammes entières. Les quelques fois où je me suis amusée à m’intéresser à la composition de ces produits en magasins, l’hydroquinone et autres composants détergents étaient toujours marqués sur les flacons… C’est censé rassurer la consommatrice sur l’efficacité du produit, je suppose. A vomir, vraiment. Le summum, c’est le dernier entrant sur le marché au Cameroun, dont je ne dirai pas le nom (on ne va pas lui faire de la pub non plus !). Ses affiches géantes sont partout en ville, démontrant une fille qui doit clairement son teint “lumineux” à son métissage plus qu’à une crème. Mais enfin, qu’importe le vin, pourvu qu’on ait l’ivresse. Cette même marque semble dans une telle campagne de communication agressive qu’elle est tout simplement inévitable… Et le pire c’est sa publicité télévisée, matraquée à toute heure. Elle est plutôt bien faite, mais dommage qu’elle fasse la promotion du blanchiment de peau en prime time. Mais à nouveau, tout cela semble déranger peu de gens puisque la même marque sponsorise pas mal d’événements de grande envergure.. Ca témoigne du niveau d’acceptation dans la société de cette pratique. C’est décourageant, vraiment. Enfin bref, dernier point, finissons ce 2ème épisode sur une note plus drôle.

“Métrosexuel à la Camerounaise”: Le Cameroun est un pays fortement patriarcal, où la virilité est célébrée aussi bien par les hommes que par les femmes, et cela se voit aussi bien dans les chansons populaires (“L’homme c’est l’homme tant que ça se lève” = Un homme reste un homme tant qu’il peut avoir une érection) que dans l’homophobie ambiante, bien plus cruelle envers les gays que les lesbiennes. De ce fait, le rapport au corps masculin est très codifié. En tant que “vrai gars”, on doit porter du moulant mais attention à ne pas “faire PD” par exemple. La limite entre paraître élégant et paraître efféminé est parfois fine, et je crois qu’une bonne partie des “mâles Bantou” essaie de rester du “bon côté”, celui que la société autorise. Sachant cela, j’ai donc été très étonnée du nombre d’espaces de beauté exclusivement masculins qui poussent comme des champignons. Ils proposent principalement des Barber Shop, avec une palette de services dédié au rasage.. mais pas que ! Il se trouve que les hommes de Douala sont friands eux aussi de soins du visage, massages (relaxants ou “autres”..), et même de manucure/pédicure. Oui oui ! Lors d’une visite à Akwa, alors que C. se renseignait concernant la pose de vernis semi-permanent, c’est un concessionnaire de voitures de luxe qui va nous donner le tuyau. Bien sûr, l’orientation sexuelle d’une personne ne se lit pas sur son visage (encore heureux !), mais je peux vous assurer que ce trentenaire était hétéro (du moins d’apparence, mais je peux me tromper). Comment sait-il donc où se fait la meilleure manucure de la ville ? Il nous explique, pendant qu’on lui fait sa pédicure, que les hommes de Douala “prennent beaucoup soin d’eux”. “Je suis concessionnaire de voitures, je dois bien présenter devant mes clients ! Je serre beaucoup de mains, il est hors de question que mes ongles soient sales ou mal coupés“. Me tournant vers l’esthéticienne, elle me confirme qu’elle a de plus en plus de clients masculins qui viennent pour des pédicures car avec la chaleur ambiante et le port prolongé de chaussures fermées, les hommes peu importe leurs professions développent des problèmes au niveau de leurs orteils. Mais bien sûr, vous l’imaginez, peu d’hommes assument pour l’instant. Ils profitent du fait d’accompagner une mère/soeur/cousine/femme, pour faire un soin ou autre. Le métrosexuel camerounais adore la sape et prend soin de lui, mais le fait en étant conscient que quelque part, son corps ou sa représentation ne lui appartiennent pas totalement.

Sinon, en termes ” d’innovation”, les instituts de beauté de Douala proposent désormais des hammams à l’orientale, centres de relooking, blanchiment de dents instantané, pose de faux cils, cure de rajeunissement… L’arrivée du botox n’est qu’une affaire de temps.

Maintenant, pour ce qui est de la qualité des prestations et de la traçabilité des produits utilisés, je suis loin d’être rassurée dans l’ensemble.

Prochain post: dernier volet de ma série sur Douala, au sujet du Carm Store.