L’International porte bien son nom. Un restaurant sénégalais comme voisin et un bar à la façade vieillie, défraîchie. Un bar qui ne paye pas de mine au milieu d’un quartier cosmopolite où se mélange restaurants japonais, italiens, grecs, turcs et africains. L’intérieur du café est faussement négligé. Les abats-jours sont en fait des cagettes et le sol est divisé : la moitié en plancher, l’autre en béton brut. Ironie du sort pour un bar qui se veut « miséreux », les murs sont à la couleur des camions de la Brinks, bleus et blancs. Mais ce qui habille le mieux le bar, ce sont bien les clients. Casquettes, bonnets, jupes, robes et costards, baggy et jean slims, on trouve de tout. Les nationalités aussi sont bien différentes. Bref, nous ne sommes pas venus pour le bar en lui-même mais bien pour le concert gratuit que nous propose L’International. Au programme de la soirée dans ce bar-concert dans le 11ème, du rap français avec Jeune Karn, 3010 et Dinos Punchlinovic. Du rap français quelque peu underground dans un établissement Rue Moret, quoi de plus normal en ce moment Morray ?
»Appelle moi Tonton, bonnet + ponpon »
21h10, après quelques pintes, il est venu le temps de s’installer dans la salle de concert. Pour cela, il faut descendre un escalier : quelques marches en route vers le bonheur. En bas, les casquettes sont plus nombreuses. Omniprésentes même. Vissées sur la tête, les snapback commencent à vite bouger allègrement. En cause, le début du concert de Jeune Karn, accompagné de ses acolytes du crew 1Treuk : Sobre, Béocéa et M.A.T, tous originaires de Caen. Comme quoi dans le pays du camembert, il n’y a pas qu’Orelsan, il y aussi de bons jeunes rappeurs. Et le décor est immédiatement posé, les références dans les textes seront la weed « elle est bonne ma weed, elle se mélange bien avec du rhum 3 rivières », les meufs « on veut pas de putes, on connaît trop leurs fils » et le sport avec des clins d’oeil à Falcao, Bubka, Messi et Chris Gatling entre autre. Le flow est posé, les MC se donnent à fond et l’interaction avec le public est bonne. Il faut dire que les amis du groupe sont venus en nombre. Méconnus du grand public, le crew porté par un Jeune Karn charismatique mériterait plus de reconnaissance. Sur scène, les titres de l’album Cockpit de Jeune Karn s’enchaînent avec aisance, sans que jamais le rythme ne redescende. Parmi les titres interprétés, on retrouve Déambule, Cockpit, Fais tourner, Back in a day, Haut dans le ciel et Ralenti avec le concours de Naï de La Fronce. Le public est totalement conquis. La température grimpe inexorablement. Bien aidé par la prestation scénique des artistes. Car les MC’s manient aussi l’humour et le détournement, le public aura en effet droit à une reprise du célèbre « Hôtel motel holiday Inn », à un « Fleur carabine » traduit de Gun’n'roses et au titre Caen Francisco. Au total, ce sont une dizaine de titres qui se sont suivis et laissés allègrement écouter. Entre un Sobre, ersatz physique de Ray Charles et de Bruno Mars, un Jeune Karn à l’aise et puissant, un M.A.T parfait compagnon et un Béocéa complètement défoncé, le 1Treuk a livré une performance pleine d ’espoirs pour la suite de leur carrière.
Pour écouter Cockpit, c’est par là, c’est gratuit et en libre écoute.
« Je zappe et je mate comme Passi, je passe ma vie entre Trappes et Poissy »
« J’m'appelle Jules, j’mange du porc et j’suis l’futur du rap français »
C’est au tour de Dinos Punchlinovic d’entrer en piste. L’attraction de la soirée, c’était bien lui. C’était pour lui que les gens s’étaient déplacés. Et le moins que l’on puisse dire, c’est qu’il n’a pas déçu ses fans. Sourire extra-large, casquette à l’envers, le voici qui débarque sur scène et qui entonne le Prieuré de Sion. On reste dans la thématique du 1Treuk avec le jeune rappeur de La Courneuve : un tee-shirt Weed TV et dès les premières phrases, une référence au sport « le temps court comme Christine Arron » (pas très vite donc). Accompagné de Luidji, le duo ambiance la centaine de personne présente. Contrairement aux autres artistes, le public connaît les paroles des titres de Dinos. Le public back, reprend les refrains et les fins de phrases alors que Jules donne son maximum, comme en témoigne la sueur sur son front. Les deux MC’s reprennent ensemble les titres de chacun, les spectateurs auront ainsi droit à CQLP et Oh no (initialement des titres de Luidji), à La Mort ou Tchi-Tchi et Schweppes Agrum’ and Chicken Chicka. Vous l’aurez compris, les sujets des chansons sont loin d’être futiles : kebab et Nike Air. Des Nike Air qui voleront dans la salle, offertes par Dinos. Après un extrait inédit et prometteur de son album L’Alchimiste, disponible le 3 juin prochain, en duo avec une jeune chanteuse prénommée Maud, c’est toute La Capsule, le crew de Dinos, qui s’invite sur scène.
En tout, c’est une dizaine de rappeurs qui se retrouvent sur scène derrière le très dark Tuerie Balboa pour le très lourd Marche pas sur mes Nike Air. L’audience est folle. Tellement, que l’on ne distingue plus la scène de la « fosse ». Dans sa bonne humeur habituelle, celui que l’on a découvert au Rap Contenders quittera la salle après avoir lancé un Harlem Shake. De la folie, encore et toujours.
Fraîcheur, bonheur, sueur. Tel pourrait être le slogan de la soirée tant les jeunes rappeurs ont apporté quelque chose de nouveau tout en se donnant à fond pour un public conquis et acquis à leur cause. Nul doute qu’on entendra parler d’eux dans un futur proche. Car la relève du rap français, ce sont bien eux.