Les histoires de fleurs n'ont jamais de fin. Mais nous en conterons pourtant une dernière. Au XVIème siècle, la belle-de-jour était encore une plante rare au Japon. Rikyû en possédait un jardin entier, qu'il cultivait avec un soin assidu. La renommée de ses convolvulus parvint aux oreilles du Taikô Hideyoshi, qui exprima le désir de les contempler. Rikyû l'invita donc pour le thé du matin dans sa demeure. Au jour fixé, le Taikô vint et traversa le jardin, mais il ne vit nulle trace de convolvulus. Le sol avait été nivelé, puis recouvert de fin gravier et de sable. La mine sombre, le despote pénétra dans la chambre de thé, où l'attendait un spectacle qui lui rendit sa bonne humeur. Sur le tokonoma, dans un bronze rare de facture Song, reposait une unique belle-de-jour - la reine du jardin tout entier !
De tels exemples illustrent parfaitement la signification du sacrifice des fleurs. Et sans doute les fleurs elles-mêmes savent-elles apprécier pareil sacrifice. Elles ne sont point lâches, comme le sont les hommes. Certaines fleurs trouvent leur gloire dans la mort - ainsi les fleurs de cerisier qui s'abandonnent librement aux vents. Quiconque a contemplé les avalanches embaumées de Yoshino ou d'Arashiyama a pu s'en rendre compte. Durant un court instant, les fleurs voltigent comme des nuées de joyaux et dansent sur les eaux cristallines : puis, cependant qu'elles glissent au fil de l'onde, elles semblent dire : "Adieu, Printemps ! Nous partons vers l'Eternité !"
Extrait de "Le Livre du thé" de Kakuzô OKAKURA
Photos à Naka-Meguro (Tokyo) en mai 2010