La vie d'un cinévore n'est pas un long fleuve tranquille. Il arrive par exemple qu'on soit frappé par un puissant scepticisme à l'égard des nouveautés et, personnellement, je refuse d'aller voir un film en soupirant. J'ai donc snobé les sorties de la semaine (oui, y compris le dernier Almodóvar, pardonnez-moi) qui me tentaient guère et opté pour un rattrapage massif à la place.
Au programme, Ernest et Célestine et Sugar Man, tous deux sortis en décembre 2012 et toujours (alléluia !) diffusés dans certaines salles parisiennes ainsi queJappeloup, à l'affiche lui depuis deux semaines seulement. Trois films que j'avais manqué à leur sortie donc (shame on me) mais que j'espérais voir avant qu'ils ne tombent dans les oubliettes de ma mémoire de poisson rouge et/ou qu'ils ne soient plus à l'affiche.
Mission accomplie donc – et sans le moindre regret vu que j'ai eu deux mini coups de cœur !
- Ernest et Célestine (Benjamin Renner, Vincent Patar et Stéphane Aubier)La genèse d'une amitié contre-nature entre une souris (Célestine) et un ours (Ernest) que tout oppose, à l'exception de leur volonté d'échapper à l'ordre établi. Chez les souris, l'idéal, c'est en effet de devenir dentiste, chez les ours, avocat or Célestine aspire à être peintre et Ernest, lui, musicien. C'est donc leur isolement par rapport à leur communauté respective qui va les rapprocher. Ce formidable plaidoyer, qui souligne la nécessité de respecter son prochain et d'accepter la différence est donc destiné autant aux enfants qu'aux adultes qui, eux, pourront également y trouver un angle politique. Finalement, n'est-ce pas en effet deux dictatures que l'on nous présente et, dans chacune d'elles, deux courageux résistants ? Le scénario signé Daniel Pennac (rien que ça !) est pétri d'idées originales (le commerce des dents, l'aménagement des égouts, l'équipement sportif des souris...) qui prêtent à sourire et qui sont sublimées, graphiquement, par un trait épuré propre à l'aquarelle et des tons mi pastels mi ocres. La sagacité narrative est donc ici soulignée par une délicatesse esthétique qui confère à Ernest et Célestine ce charme suranné des anciens dessins animés. Enfin, le perfectionniste des réalisateurs s'étend jusqu'aux voix qui sont toutes d'une justesse incroyable (mention spéciale pour celle de Pauline Brunner qui s'approprie à merveille Célestine). En résumé, une pépite enchanteresse, une merveille visuelle, vocale et narrative et, enfin, un bel hymne à la tolérance.
En deux mots : frais et original.Le petit plus : Ernest et Célestine, qui est tiré d’une série de livres pour la jeunesse publiée par l’écrivain et illustratrice belge Gabrielle Vincent a reçu le César du meilleur film d'animation en 2013. Comme je l'avais prédit (non non, je ne suis pas du tout en train de me mousser).N'hésitez pas si :
- vous avez apprécié les univers de Kafka ou encore d'Orwell (le message est ici assez similaire) ;
- les films d'animation en 2D vous manquent (ras le bol de la 3D, je suis bien d'accord) ;
- vous attachez une grande importance aux petits détails (les réalisateurs ont pensé à tout et glissé d'innombrables clins d'œil comiques, ouvrez bien les yeux !) ;
- vous n'êtes pas un grand enfant ;
- vous n'aimez pas l'aquarelle ;
- Sugar Man (Malik Bendjelloul)L'histoire incroyable mais vraie (!) de Sixto Rodriguez, un artiste hors du commun qui a connu un succès phénoménal en Afrique du Sud, où il était l'égal d'Elvis Presley (!) mais dont le reste du monde n'a paradoxalement jamais entendu parler. Au gré de précieux témoignages, Malik Bendjelloul regroupe donc diverses informations et tente de percer le mystère de cet homme. À mi chemin entre le documentaire et le reportage, Sugar Man est en fait une enquête palpitante qui explore non seulement l'industrie musicale mais aussi l'environnement socio-politique – les chansons de Rodriguez ont eu la valeur d'icônes anti-apartheid. Bien que la construction narrative soit éminemment conventionnelle (entretien suivis d'images d'archives, ainsi de suite), cet avis de recherche cinématographique parvient à maintenir l'attention du spectateur en entremêlant mythe et réalité. Les interviews révèlent ainsi, peu à peu, un artiste humble et visionnaire.La bande originale entièrement composée de ses chansons achève quant à elle de nous rendre fan. Une découverte musicale et humaine exceptionnelle qui démontre la vanité du succès et livre accessoirement une belle leçon de vie.Un portrait captivant enfin qui permet de populariser une légende au destin incroyable. Inutile de préciser que l'Oscar du meilleur documentaire est plus que mérité.
En deux mots : passionnant et humble.Le petit plus : Au départ, personne ne souhaitait soutenir financièrement ce film. Malik Bendjelloul a donc dû faire preuve d'une grande persévérance et usé de mille et une astuces (il a notamment monté son flm en utilisant le logiciel Final Cut et peint lui-même ses animations alors qu'il ne s'était jamais prêté à l'exercice) pour venir à bout de Sugar Man. Deux producteurs (Simon Chinn et John Battsek) ont heureusement fini par s'engager dans le projet et ainsi facilité la finalisation du documentaire.N'hésitez pas si :
- vous ne connaissez pas Sixto Rodriguez (je vous renvoie à la règle n°1 en ce bas monde : ne jamais rester dans l'ignorance) ;
- vous désirez en savoir plus sur le rôle qu'a eu la musique en Afrique du Sud durant l'apartheid ;
- vous aimez les textes poético-engagés à la Bob Dylan ;
- les arcanes de l'industrie musicale ne vous passionnent guère ;
- vous avez une préférence pour les documentaires esthétiques (ici, pas de fioritures, tout est simple, brut !) ;
- Jappeloup (Christian Duguay)Un biopic ordinaire qui retrace le parcours pourtant, lui, extraordinaire de Pierre Durand, cavalier français spécialisé en sauts d'obstacles, et de son atypique cheval, Jappeloup. En effet, si l'histoire en elle-même est fascinante, elle est malheureusement complètement desservie par le classicisme et la redondance de la mise en scène ("ralenti + gros plan" systématiques pour filmer les compétitions par exemple) qui est dépourvue de toute originalité formelle ainsi que par la linéarité exhaustive de la narration qui tend, à terme, à atrophier le rythme et crée d'insupportables longueurs. L’évolution en somme passionnante de Pierre Durand, entre doutes et progrès, est quant à elle galvaudée par un pathos exacerbé qui s'insinue dans tous les dialogues, d'une platitude affolante d'ailleurs, et empoisonne toutes les relations évoquées (père/fils, mari/femme ou encore cavalier/cheval). L'inévitable parallèle entre Jappeloup, trop petit et trop imprévisible sur qui personne n'aurait parié et cet orgueilleux Durand en qui personne ne croyait aurait ainsi mérité d'être traité avec plus de subtilité. En dépit de ces nombreux défauts, Jappeloup a toutefois le mérite de livrer une description édifiante, sans angélisme, du milieu équestre mais aussi du héros. Un film sur le pouvoir de la ténacité donc, qui aurait pu être excellent s'il s'était affranchi des codes habituels de la biographie romancée mais qui se noie malencontreusement dans son propre conformisme.
En deux mots : hippique et plat.Le petit plus : Jappeloup relate l'histoire de Pierre Durand et de son incroyable cheval. Pour ce faire, le film s'est librement inspiré du roman Crin Noir de Karine Devilder, la belle-sœur de Pierre Durand. À noter également, ce dernier a assigné en justice les coproducteurs du film (Pathé et Acajou Films) afin d'empêcher la commercialisation du nom Jappeloup à des fins autres que cinématographiques. N'hésitez pas si :
- vous appréciez les mises en scène classiques ;
- vous voulez en savoir plus sur la carrière de Pierre Durand ;
- les histoires cousues de fil blanc ne vous incommodent pas ;
- vous avez horreur des biopics linéaires ;
- le milieu équestre ne vous intéresse pas ;
- vous ne pouvez pas encadrer Guillaume Canet ;