Le Chuchoteur - Donato Carrisi

Par Anaïs


Auteur : Donato Carrisi.Langue originale :Italien. Traduction : Anaïs Bokobza
Éditeur : Calmann-Lévy.Date de parution :2010Pages :438.Prix :21,90 €.Ce qu'en dit l'éditeur 
Cinq petites filles ont disparu.
Cinq petites fosses ont été creusées dans la clairière.
Au fond de chacune, un petit bras, le gauche.
Depuis qu’ils enquêtent sur les rapts des fillettes, le criminologue Goran Gavila et son équipe d’agents spéciaux ont l’impression d’être manipulés. Chaque découverte macabre, chaque indice les mènent à des assassins différents. La découverte d’un sixième bras, dans la clairière, appartenant à une victime inconnue, les convainc d’appeler en renfort Mila Vasquez, experte dans les affaires d’enlèvement. Dans le huis clos d’un appartement spartiate converti en QG, Gavila et ses agents vont échafauder une théorie à laquelle nul ne veut croire : tous les meurtres sont liés, le vrai coupable est ailleurs. Quand on tue des enfants, Dieu se tait, et le diable murmure…
Un époustouflant thriller littéraire, inspiré de faits réels.

Le Chuchoteur est, à maints égards, le Lincoln littéraire. 

J'entends par là un objet culturel médiatisé à l'excès et diligemment propulsé au rang des incontournables par un public averti. "Une étoile est née. Cet auteur de thriller est aussi doué que ses modèles américains..." augure ainsi Il Sole 24 Ore sur la quatrième de couverture.

Au risque de me faire quelques ennemis, je nuancerai ce joli tableau. Ce polar jouit certes d'un aussi immense qu'indéniable potentiel mais celui-ci se révèle malheureusement être éminemment mal exploité – là encore comme le film de Spielberg d'ailleurs.

À l'inverse toutefois dudit film qui, à l'exception du dernier quart d'heure, se trouve être hautement soporifique, l'histoire est ici captivante. Passé les cents premières pages du moins qui plantent le décor et peuvent paraître assez longues  difficile en effet de ne pas être happé par cette enquête tentaculaire et plus spécifiquement par son point de départ : la disparition de cinq petites filles et, en parallèle, la découverte de six (!) bras gauches. Cette énigme macabre, qui constitue la clé de voûte du Chuchoteur, remplit ainsi la première mission d'un polar : intriguer – ici on se surprend même à l'être autant que les personnages.
Ces derniers font d'ailleurs l'objet d'une approche psychologique qui est sinon pleinement réussie, du moins étonnamment recherchée – pour un polar j'entends. En effet, Donato Carrisi n'élude pas la totalité des poncifs du genre – il nous dispense du vieux flic expérimenté et torturé par ses vieux démons, pas de la Wonder Woman invincible... – mais a toutefoisle mérite de constituer une équipe plausible. À mon sens, cette réussite tient probablement à l'attention quasi rigoriste avec laquelle l'auteur s'attache à détailler les rapports entre les différents membres du groupe d'une part et l'imbroglio de la hiérarchie policière d'autre part.
Cette rectitude, qui constitue l'un des atouts du livre, caractérise également la plume de Donato Carrisi qui, là encore, s'avère être une belle surprise. Rares sont en effet les auteurs de thriller qui soignent leur style ! Minutieux, fluide et précis, l'auteur applique son regard scientifique – clinique ? – sur plus de quatre cents pages et dispense ainsi le lecteur d'un voyeurisme morbide. Sa minutie s'entrevoit également dans le caractère éminemment instructif du Chuchoteur qui est pétri d'informations médico-légales et, enfin, dans cette volonté de délocaliser l'action. En effet, à aucun moment nous ne savons où se situe l'action et les prénoms des personnages, tour à tour à consonance française, espagnole ou encore roumaine, renforcent cette confusion avec délice.L'ennui c'est que Donato Carrisi perd – délaisse ? – cette rigueur qui pourtant le distingue positivement lorsqu'il s'agit de faire avancer l'intrigue et, également, de la résoudre. Nombre d'éléments (rebondissements, déductions...) sont ainsi complètement saugrenus. J'ai d'ailleurs eu peine à comprendre le sens de la mention "inspiré de faits réels" tant l'auteur a recours à moult fantaisies – que, rassurez-vous, je tairai pour ne pas vous spoiler. Or j'estime que le devoir ultime d'un auteur de thriller est d'apporter une ou plusieurs réponses cohérentes. Le laxisme – la paresse ? – dont l'auteur fait preuve ici pour résoudre l'énigme principale est donc totalement inadmissible car profondément irrespectueux

Quant à l'épilogue, il m'a également laissée dubitative et quatre mots ont fini par résonner en moi : tout ça pour ça ? Au vu du dénouement, je n'ai pas compris l'intérêt des quelques centaines (bon d'accord, j'exagère) deus ex machina  qui au demeurant s'avèrent on ne peut plus prévisibles. C'est en effet la première fois que je devine autant d'éléments ce qui, vous le savez si vous me lisez régulièrement, ne me dérange pas en soi, à ceci près qu'ici, en plus d'être sans réelle surprise, Le Chuchoteur n'est aucunement effrayant. Pour un thriller qui se prétend "époustouflant" (cf. la quatrième de couverture), c'est quand même un comble, non ?

En résumé, un polar instructif qui aurait pu être brillant si l'auteur n'avait pas cédé à la facilité et troqué sa pourtant remarquable rigueur pour des coups de théâtre alambiqués et des solutions grotesques. Un page-turner efficace mais loin – très loin – du Millénium italien annoncé. 
Le petit plus Le moins que l'on puisse dire, c'est que Donato Carrisi sait de quoi il parle. Juriste de formation, son thriller est truffé de remarques extrêmement minutieuses sur le fonctionnement de la psychiatrie judiciaire mais aussi de la médecine légale (pour une fois, le légiste n'est pas juste là pour faire joli, son travail est mis en exergue  c'est assez rare pour être souligné). C'est donc une lecture qui se révèle très enrichissante. Pour ma part en tout cas, j'ai beaucoup appris, y compris ce qu'est un chuchoteur (hinhin).

N'hésitez pas si :

  • la criminologie et plus précisément le profiling vous passionnent (comme je le dis ci-dessus, c'est un thriller très fécond de ce point de vue là) ;
  • vous recherchez un thriller efficace et prenant ;
  • vous êtes fan de Kate Beckett dans Castle (l'héroïne du Chuchoteur lui ressemble énormément) ;
Fuyez si :
  • vous désirez frisonner (c'est très subjectif pour le coup alors cet argument est à prendre avec des pincettes !) ;
  • vous exécrez les thrillers invraisemblables (quelques scènes m'ont valu de beaux fous rires...) ;
  •  les aspects médiatiques et politiques d'une enquête ne vous intéressent pas ;
***Le conseil (in)utile Rationalistes, s'abstenir. Je radote mais si même moi qui ne suis pourtant pas cartésienne pour un sou j'ai ai été gênée par l'improbabilité de certains éléments/événements, je ne pense pas que les esprits logiques puissent être transportés par cette intrigue.En savoir plus sur l'auteurEn apparence, rien ne laissait présager que Donato Carrisi serait le prochain roi du thriller. Juriste de formation, il suit des études de droit avant de finalement se consacrer à l'écriture. Son premier roman, Le Chuchoteur, parait en 2011 et connait un succès étourdissant. Traduit dans douze pays, vendu à plus de 300 000 exemplaires en France, il est en outre auréolé de quatre prix littéraires dont le prix SNCF du polar européen 2011 (sources : wikipedia.org et donato-carrisi.fr).

Ce livre s'inscrit dans deux de mes challenges : les 170 idées et à tout prix