J’ai aimé ce roman feuillu et touffu. Dès les premières lignes, la force du conteur agit sur le lecteur qui s’ouvre comme l’enfant à qui l’on raconte une histoire, prêt à tout voir et à tout croire. On suit des yeux les soubresauts d’une histoire qui amplifie personnages et événements. Jamais je n’ai lu autant d’histoires dans une. Ce roman vaut trois tomes, que les dents gourmandes se le tiennent pour dit. Il en devient difficile à résumer, encore plus pour les commentatrices qui peinent à condenser !
L’auteur nous fait vivre des liens familiaux complexes, les émotions qui s’y rattachent sont rouges foncées : jalousie, passion, violence, rivalité, favoritisme, sexualité, inceste, avortement. L’histoire nous promène entre des extrêmes : de la guerre à la paix, de la richesse à la pauvreté, de la religiosité à l’athéisme, de l’érudition à l’ignorance, de la campagne à la ville, de la force musculaire à celle de l’esprit. Ces contrastes sont portés par des personnages typés, vous n’en trouverez pas de banals. Les liens entre les événements et les personnages ne sont pas tout de suite évidents, mais le deviennent. C’est le lent travail d’un tisserand où l’on voit les fils se rejoindre en retournant le tissu à l’envers.
Un des premiers personnages, Louis « le cheval » Lamontagne, de son sens inné de conteur marquera tout ce qui vient après lui. Même si les types de narration varieront, l’énergie « conteuse » de l’auteur ne se tarira pas. La magie du tout se peut et tout se tient perdure. On croira à tout, même aux mères qui meurent deux fois, même aux hommes qui tirent les autobus, même aux succès financiers planétaires.
À ceux qui s’attachent férocement à un personnage, le choc de la séparation est à prévoir. C’est un ballet de personnages qui se transmettent le vedettariat d’un à l’autre. Comme dans la vie, le temps s’écoulant, une personne en remplace une autre. À peine le temps qu’on se secoue, le magicien conteur nous embarque dans un autre présent. Pour la plupart, ils se rejoindront dans l’épiphanie de la fin.
Les parcours tumultueux sont intelligemment semés de traces qui laissent des empreintes : Un tableau représentant une scène liturgique, l’opéra Tosca, une tâche de naissance, un pendentif avec une croix. Il y a un sens précis et peu banal à chacun, unifiant les ficelles de l’histoire.
J’ai été particulièrement captivé par l’histoire de l’Allemande, Magdelena Berg (Madeleine Lamontagne), le personnage est truculent à souhait. Dans cette partie, j’ai apprécié l’angle peu exploité en littérature qui fait voir les Allemands en victime durant la deuxième guerre.
Je me suis adonné à une analyse de texte, du genre psychologie à quatre sous. J’ai remarqué qu’Éric Dupont fait silence sur la sexualité des couples légitimes, et se reprend avec force détails pour les couples hors normes. J’en ai conclu que l’auteur est inspiré par les extrêmes, le banal quotidien, il en a cure.
Son style ? Bavard, ludique, excessif, ingénieux, rythmé, fluide.
Tant de points positifs fait oublier certaines longueurs. Par exemple, j’ai eu maille à partir avec les premières lettres d’un des fils de Madeleine, celui vivant en Allemagne. La coupure avec le rythme était évidente mais quand son frère a commencé à lui répliquer, mon ardeur à la lecture est revenue.
D’oser une saga à la manière conté, d’une seule traite, c’est audacieux. Cette fois, il n’y aucun doute, l’audace paie. « La fiancée Américaine » n’a pas fini d’être lu et de recevoir des prix.