Galerie de portraits (3) : Céno

Publié le 18 avril 2013 par Legraoully @LeGraoullyOff

« Le métier d’humoriste est dangereux. Trop de recul, trop de lucidité, trop d’irrespect, trop d’incroyance, de dégoût, trop de questions sans réponses… » (Wolinski)

Devezh mat, Metz, mont a ra ? Ah ben merde alors ! Merde, merde, merde alors ! Je m’étais bien promis, un jour, de consacrer l’un des pièces de cette galerie de portraits à un collaborateur du Graoully ; ils y ont droit eux aussi, ils sont à leur façon des personnalités notoires pour ne pas dire des célébrités… Mais tout de même, je ne m’attendais pas à devoir faire si tôt l’un d’entre eux (du coup, les autres devront attendre que j’aie écrit au moins cinquante portraits avant que ce soit leur tour… Patience, les amis !) et surtout pas dans de telles circonstances ! Le destin est parfois bien farceur, mais son sens de l’humour m’échappe un peu.

Cliquez pour agrandir.

Un dont le sens de l’humour ne m’échappait pas, au contraire, c’était bien celui de Céno : je pense que vous étiez vous aussi dans le même cas ; si vous êtes un fidèle lecteur du Graoully ou du journal vendéen Le Sans-culotte, vous connaissez bien La Babole, cette petite dame toute ronde, une rude savoyarde bon teint comme l’était son créateur. Elle était un peu à Céno ce que Le Chat est à Geluck, un porte-parole par lequel le dessinateur arrivait à exprimer des vérités qui auraient fâché dans n’importe quelle autre bouche ; manifestation éclatante du sens de la formule de son créateur, la Babole est un peu commère, un peu mêle-tout, mais attachante malgré tout : on se prend à rêver de l’avoir comme voisine, on la voit d’ici en train de maugréer, de rouspéter, de colporter tel ou tel cancan sur les gars du village, on la voit aisément à sa place du figure marquante de la vie de quartier, pas mauvaise bougresse, prête à rendre service sans rien demande en échange, faisant des broderies pour offrir à ses petits-neveux, confectionnant des guirlandes pour la fête du patronage… Une savoyarde bon teint, certes, mais des femmes comme ça, qui ont déjà passé l’âge de se soucier d’être irréprochables et auxquelles on pardonne le franc-parler tant elles savent garder le cœur sur la main, c’est un type international sur lequel assez peu de caricaturistes, trop occupés à représenter des monstres, se sont penchés : ce n’aura pas été le moindre des talents de Céno de cerner ce caractère oublié par La Bruyère… Si vous êtes un bibliophile averti, vous connaissez aussi la satire savoureuse du microcosme des perchmans que Céno nous a léguée dans son album Tendre la perche, révélant quel réservoir de gags pouvait être ce petit monde bien connu des montagnards tels que lui, univers peuplé de gens un peu bourrus qui ne manquent pas de taquiner les maladresses des « estrangers » qui remontent les pentes neigeuses…

Mais ce que vous connaissez peut-être moins, et que j’ai eu le temps d’entrevoir au cours de la durée, hélas trop courte, où j’ai pu correspondre avec lui, c’est quel irremplaçable compagnon de jeu il était : je me souviendrai longtemps du pari qu’il avait fait avec une médium de nos relations, qui se reconnaîtra, de lui faire un dessin si l’une de ses prévisions se réalisait, ce qui s’est effectivement produit : s’est-il pour autant mis à croire à la voyance ou a-t-il simplement mis ça sur le compte d’une coïncidence comme ne manqueraient pas de le faire certains mauvais esprits un peu sceptique ? Toujours est-il qu’il a tenu parole, bien conscient qu’il avait mieux accepter de perdre un pari fait pour rire avec cette charmante personne, manifestant une probité et un esprit ludique appréciables. Il avait déjà eu l’occasion de faire montre de ces qualités en organisant le concours de dessins d’humour autour la rando VTT appelée « Dré dans l’darbon » auquel j’avais été moi-même invité à participer et qui consolidait son statut d’acteur culturel du pays savoyard ; et enfin, sur Fasseboque, il avait lancé un petit jeu dont je ne vous expliquerai pas le principe en détail mais que j’avais gagné, me permettant d’acquérir le plus beau souvenir que je pourrai jamais avoir de lui, matériellement parlant s’entend : un dessin original, celui d’une de ses plus savoureuses trouvailles parmi celles dont il parsemait journaux et sites internet…

Mon trésor… Cliquez pour agrandir.

Tout ceci pour avouer une chose : je n’ai RIEN vu venir. Je n’ai rien soupçonné du mal de vivre qu’il devait ressentir. La distance qui me sépare de la Vendée et de la Savoie, les deux régions qu’il affectionnait particulièrement, y étaient évidemment pour beaucoup, mais le fait que je ne voie en lui qu’un joyeux compagnon de jeux graphiques n’y était pas étranger non plus : négligence de ma part ou simple pudeur de la part d’un créateur qui ne faisait pas un étalage systématique de ses problèmes ? On le découvrira peut-être un jour…ou peut-être jamais. C’est con, quand même : si on avait su lui dire à quel point nous aimions ce qu’il faisait, il n’aurait peut-être pas commis l’irréparable. Mais il est un peu tard pour se poser la question… Kenavo, les aminches !

Share