Motion et émotion - The Grandmaster, de Wong Kar Wai

Par Timotheegerardin
Après une première partie doucement ennuyeuse, The Grandmaster nous offre une magnifique scène de combat sous la neige, sur le quai d'une gare : le train s'ébranle, dans un mouvement qui se détache de la chorégraphie des combattants, tout en l'accompagnant. La contemplation des gestes est troublée par le déplacement du point de repère qui permettait de les apprécier. On peut considérer ainsi la singulière expérience du temps qui nous est donnée par Wong Kar Wai : non pas une texture élastique à force de ralentis, de flashback et d'arrêts sur image, mais une expression en relief de la relativité du mouvement, toujours dépendant d'un point de vue lui-même mouvant.
Il est question, dans l'un des dialogues de fin, de la vie qui n'aurait pas la même saveur sans les regrets qu'elle nous laisse. L'histoire que nous raconte The Grandmaster n'est jamais vécue directement, mais toujours à contretemps, dans le prisme du regret ou de la rétrospection (c'est ce qui rend souvent le film difficile à suivre). Wong Kar Wai est moins fasciné par l'instant décisif, comme on le croit d'abord, que par son enveloppe temporelle : la manière dont il se déforme en se miroitant dans le reste du film. Une fois toute l'action accumulée, la dernière partie du film n'est qu'un long soupir. Le contrecoup d'événements passés qui s'envolent dans un nuage d'opium. On repense à 2046, ce film poignant qui avançait comme ça, hérissé de toutes ses directions possibles, sclérosé par les souvenirs et le regret.