Magazine Culture
En 2011, les ventes d’ebooks représenteraient moins de 1% des ventes totales de livres dans l’Hexagone, contre 7% au Royaume-Uni et 20% aux Etats-Unis. Cependant, depuis 2008, cette part ne cesse d’augmenter et la vente des ebooks atteint désormais 21 millions d’euros cette année, contre 12, 5 millions l’an dernier. En six mois, le nombre de Français ayant lu un livre au format numérique a presque triplé (on passe de 5% à 14 % de la population de plus de 14 ans). Les dernières avancées technologiques
Les avancées technologiques concernent en premier lieu les supports. Le livre numérique est véritablement entré en France avec l’augmentation considérable de la vente des smartphones, des tablettes et des liseuses (qui sont uniquement dédiées à la lecture, contrairement aux tablettes multi-usages et multi-médias).
Seuls 16 % de lecteurs de livres numériques possèdent une liseuse, ce qui correspond à peu près au pourcentage des grands lecteurs en France. Les lecteurs de livres numériques s’équipent plutôt en tablettes multimédias (37%), ce que les éditeurs ne peuvent négliger. Ces derniers développent donc non seulement des livres numériques mais de plus en plus d’applications qui offrent une grande interactivité.
Face à l’évolution des supports de lecture, les progrès technologiques concernent aussi les formats utilisés pour la fabrication du fichier numérique exportable. Le format PDF a longtemps été en usage, mais ne permet qu’une duplication (dite homothétique) du document original en préservant la mise en forme initiale. Depuis quelques années, c’est le format EPub qui s’est imposé sur le marché du livre numérique. Il repose sur un contenu structuré selon les standards du web, et notamment le langage HTML, qui permet de baliser l’organisation d’un texte. Ainsi, la présentation du texte peut s’adapter à tous les supports, en modifiant automatiquement la mise en page, la taille du texte, selon les contraintes du support ou les usages du lecteur. Chaque secteur ou type de livre privilégie un format, par exemple un simple EPub homothétique pour les textes de littérature, ou des formats plus complexes comme l’EPub 3 qui permet d’intégrer des contenus audios et vidéos, pour des livres interactifs et des contenus multimédias.
Selon une étude d’Opinion Way, plus de 80 % des Français sont encore réfractaires à la lecture numérique. Il s'agit là d'une certaine exception culturelle. Le livre est le bien culturel préférés des Français (52% du marché, source GfK), et ceci grâce aux politiques de soutien du livre (loi sur le prix unique du livre, soutien aux librairies indépendantes, etc.) qui ont permis de maintenir une grande diversité éditoriale. Ceci explique l’attachement de la France à l’objet symbolique qu’est le livre, associé à son format papier, et la peur de voir le numérique transformer radicalement le livre et son contenu.
On retrouve les mêmes craintes de dégradation du statut symbolique et culturel du livre que celles qui se sont exprimées lors de l’apparition du livre au format de poche.
Le livre numérique va-t-il à terme remplacer le livre papier ? Ce n’est pas la première fois que l’histoire connaît une modification des supports de lecture. On est passé, au début du premier millénaire, du rouleau de papyrus (le volumen) à la forme codex (un livre fait de cahiers superposés). Ce changement de forme a accompagné un changement des usages (le livre sert à la consultation des textes et non seulement à leur conservation) et des pratiques culturelles. Le passage du support papier au numérique correspond à une évolution technologique et culturelle inévitable.
Ce n’est pas le livre qui invente le numérique, ce sont toutes les pratiques culturelles liées à l’outil informatique, à internet et aux technologies mobiles qui obligent le livre à évoluer. Cependant, les modes mêmes de lecture et les modes de création vont changer, avec la possibilité d’inclure images, sons, vidéos, interactivité. Le codex s’est totalement substitué au volumen ; le numérique se substituera-t-il totalement au codex ? C’est la question de l’usage qui reste déterminante. Pensons à un autre domaine où les supports ont eux aussi changé durant les dernières décennies : la cassette a totalement disparu alors que le disque vinyle a survécu au CD car il a rencontré des usages contemporains précis (par exemple le scratching) et possède une grande qualité de restitution du son.
On peut donc penser à une survivance du format codex et du support papier, sans doute aux deux extrêmes: d’une part dans le cadre de pratiques bibliophiliques où le livre restera un objet d’art, d’autre part dans le cadre de pratiques utilitaristes où le livre sera un objet immédiatement consommable.
Livre numérique et Internet
Les inquiétudes concernent tout d’abord les téléchargements illégaux. Selon la dernière enquête menée par Hadopi (Ifop/SSI, octobre 2012), le livre est très faiblement concerné par les pratiques illégales, sans doute par la nature du public concerné (plus âgé, moins équipé) mais aussi par l’environnement législatif important mis en place en France.
Du point de vue économique, on imagine souvent que le passage au numérique devrait s’accompagner d’une baisse radicale du prix du livre à cause de sa dématérialisation. Aux Etats-Unis par exemple, le livre numérique est souvent 50 % moins cher que le livre papier. Or, la part liée à la fabrication ne représente que 15 % du prix total du livre. Les autres acteurs de l’édition restent bien présents. L’auteur bien entendu, qu’il faut rémunérer. L’éditeur, dont le travail éditorial de sélection, de conception et de correction reste toujours aussi fondamental, à quoi il faut ajouter les nouveaux frais liés aux technologies numériques (conversion des fichiers, stockage, protection, etc.).
On aurait tort de croire que le numérique entraînera la disparition de l’éditeur. Ce serait oublier le rôle qu’il joue dans la transformation d’un texte en livre, dans sa promotion et au final dans sa « labellisation » au sein d’un marché de masse. Il ne faudrait pas oublier aussi la distribution et la vente. Celle-ci se fait certes en ligne et reste moins coûteuse qu’une distribution physique, mais elle est désormais la clé de voûte du système économique, dominée par de grands opérateurs peu enclins à rogner sur leurs marges. On peut bien entendu économiser sur chacune de ces phases, mais l’édition française a toujours veillé à protéger le droit des auteurs et des éditeurs et souhaite soutenir une distribution et une librairie numériques indépendantes.
Il y a trois enjeux fondamentaux auxquels le marché est confronté:
- Le premier est tout simplement celui de l’augmentation de l’offre légale. L’édition de livres numérique reste encore trop faible, même si certains secteurs comme l’édition scientifique, juridique et scolaire sont très avancés.
- La question de l’uniformatisation des normes et des standards est elle aussi fondamentale car elle permettra une meilleure accessibilité, quels que soient le support et le distributeur. Les constructeurs et les distributeurs ont en effet tendance à développer leurs propres formats pour s’assurer la dépendance d’un lecteur captif.
- Enfin la protection des droits d’auteur et de l’éditeur, ainsi que la protection du prix du livre.
Le livre numérique - La chaîne techno