Pourtant, sans préavis, Apple a supprimé AppGratis de son magasin d’applications, invoquant des manquements à ses conditions générales d’utilisation.
La ministre chargée de l’économie numérique Fleur Pellerin, poursuivant sa croisade en faveur de la neutralité du Net, s’immisce alors dans le débat pour soutenir la petite start-up française fondée en 2008. Selon elle, la décision d’Apple est « unilatérale » et « injuste », Apple abusant visiblement de sa position dominante vis-à-vis de ses développeurs d’applications. Elle espère amener Apple à négocier directement avec AppGratis ; quant au développeur, il vient de lancer une pétition pour faire revenir son application sur l’AppStore. Pour la société, il n’y aucune violation du règlement d’Apple.
Néanmoins, les accusations contre AppGratis ne manquent pas. iMediapp vendrait par anticipation un certain nombre de téléchargements, offrant ainsi une prestation aux éditeurs dont la finalité est simple : occuper les premières places du classement dans l’App Store. Ce dernier se verrait alors influencé fortement par un éditeur tiers, le classement ne représentant plus la « méritocratie » chère à la plateforme d’Apple mais étant le résultat d’un simple investissement financier. Doit-on pour autant accuser AppGratis de parasitisme ?
Apple est après tout un prestataire privé, les relations contractuelles qu’il entretient avec ses clients relèvent du droit privé. Le principe d’autonomie de la volonté donne aux stipulations contractuelles force de loi entre les parties, et ce d’autant plus dans le cadre d’un contrat international. En effet, la liberté conférée aux parties constitue le socle du système des règles de conflit de lois en matière d’obligations contractuelles. Les parties à un contrat international doivent utiliser cette liberté en vue d’augmenter la prévisibilité et la sécurité juridique dans l’application de leurs obligations respectives.
Au vu des éléments du débat, la Neutralité du Net serait moins en cause que des clauses commerciales peu claires. La guideline d’Apple serait « trop peu précise » et laisserait une place trop importante à l’appréciation subjective. Il est surtout reproché par AppGratis un revirement brutal de l’appréciation d’Apple, l’application ayant déjà été validée pour l’iPhone et l’iPad.
Alors, abus de position dominante de la part de la firme géante à la Pomme ou violation des conditions générales d’utilisation par AppGratis ?
Parce qu’elle a « faussé et influencé le classement de l’App Store en valorisant des applis » sans fournir par elle-même d’autre valeur ajoutée qu’un référencement des offres alléchantes qui naissent chaque jour dans le catalogue d’applications de la marque de Cupertino. Alors qu’une pétition de soutien approche le million d’utilisateurs, la question d’un éventuel abus de position dominante de la part d’Apple paraît devoir se poser. Qu’en est-il ?
Il arrive qu’une entreprise en situation dominante sur un marché invoque, pour refuser l’accès à un marché dérivé, un droit de propriété intellectuelle. Le plus souvent, l’article 82 ne joue pas mais la jurisprudence communautaire a, par plusieurs arrêts, réservé l’application de ce dernier aux litiges concernant «un produit ou un service qui se présente soit comme essentiel pour l’exercice de l’activité en cause, en ce sens qu’il n’existe aucun substitut réel ou potentiel, soit comme un produit nouveau dont l’apparition serait entravée, malgré une demande potentielle spécifique constante et régulière de la part des consommateurs». Cette théorie est celle dite des facilités essentielles. Qu’en est-il alors ? Les avis sont partagés…
De la même manière, le fait pour une entreprise en position de dominance de bloquer l’accès à un marché à un opérateur en lui refusant la fourniture d’une prestation que seule elle-même peut fournir est stigmatisé par la jurisprudence. En effet, le marché frappé de blocus peut être un marché dérivé auquel la prestation donne accès. Dès lors, l’entreprise éliminerait de facto un concurrent. C’est, en l’espèce, ce qui se dit en ce qu’Apple justifie sa décision par le risque de confusion qui pourrait exister entre son catalogue et celui d’AppGratis.
Dès lors, il convient tout de même d’accepter une éventuelle infraction aux nouvelles Conditions Générales d’Utilisation de l’AppStore. Il apparaît même que l’entreprise américaine est dans son bon droit tant que cette dernière ne cache pas derrière cette hypothétique brèche une volonté de favoriser une entreprise concurrente, ou même une filiale. Une telle méthode de reprise en main d’un marché serait dès lors anticoncurrentielle, et permettrait d’expliquer la rupture du principe d’éthique des affaires qui semble la caractériser.
Cette pratique n’est cependant pas nouvelle et 86 applications auraient déjà subi le même sort à l’image de feu AppShopper. Si l’hypothèse d’un abus de position dominante peut prêter à discussion, cette affaire illustre également une volonté politique (avec en figure de proue Fleur Pellerin) de renforcer la neutralité de l’Internet mais également de faire évoluer les pratiques en les régulant.
Quoi qu’il en soit, cette décision reste, à l’image de la pratique habituelle de la marque à la pomme, caractérisée par son côté polémique. Si sa nature juridique reste floue, il n’en est pas moins qu’elle a le mérite de soulever nombre de questions qui risquent fort d’alimenter les débats qui ne manqueront pas de venir sur l’horizon de l’Internet.