Magazine Journal intime

Le passage 10

Par Emia

10. Nous débarquâmes près de notre point de départ. Comme j’avais faim, je décidai de me rendre dans le restaurant entraperçu le jour de mon arrivée.

La rue était déserte à l’exception de quelques dormeurs couchés à même le trottoir, enroulés dans des chiffons gris comme la pierre. Plus avant, le quartier gagnait en animation : sous une lumière jaune s’alignaient des éventaires chargés de fruits, d’étoffes et de colifichets. Une foule dense s’y pressait dans les mélopées radiophoniques, les éclats de voix, les coups de klaxon. Je laissais se perdre mon regard parmi les objets qui encombraient ce dédale au plafond mou, fait de sacs et de bâches. On y trouvait de tout ; et la foule qui m’emportait ouvrait par à-coups dans cet amas de choses gisantes ou suspendues d’irrésistibles tunnels qu’abasourdie, je suivais inlassablement.

Soudain, dans la cohue, devant un étal de chaussures, je reconnais le jeune passager du bateau. Il converse avec un homme de très petite taille ; ils paraissent sur le point de conclure une affaire. Comme je passe à côté d’eux, j’entends dire: Merci, merci ! Je me retourne. Le garçon blond tend ses deux mains au nain : Yes, lui dit-il, yes, merci ! Puis la foule les avale.

Au même instant je réalise que je me suis aventurée trop loin, et je rebrousse chemin. C’est à peine que je reconnais mon hôtel à l’angle d’une venelle. Je crois également reconnaître, non loin de là, le restaurant que je cherche, une salle verte violemment éclairée où flotte une odeur de friture.

On y sert des plats indigènes dans de la vaisselle d’aluminium. J’entre et je prends place ; je commande un vedji* : on m’apporte une pâte très cuite, d’un rouge vif, qui baigne dans l’huile. Ça me brûle le gosier mais je n’ose boire l’eau que l’on m’a également apportée. Avec l’addition, on me tend une soucoupe de graines parfumées pour l’haleine. Je suis tentée d’en mastiquer une pincée, mais je résiste, de peur de tomber malade. Je quitte le restaurant en m’essuyant le front où perle une sueur nouvelle.


* Vedji : Plat phéacien à base d’épices, de tomate et de riz gluant.


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