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Jean-Christophe Rufin sur Karim Wade

Publié le 18 avril 2013 par Rokia
Karim Wade (d.), aux côtés de son père, lorsque celui-ci était président du Sénégal. Karim Wade (d.), aux côtés de son père, lorsque celui-ci était président du Sénégal. AFP Photo/Georges GOBET

Source  RFI.fr Jean-Christophe Rufin, ambassadeur de France au Sénégal de 2007 à 2010, a eu des relations «compliquées» avec la famille Wade, lorsqu’il était en poste à Dakar. L’écrivain revient sur ces difficultés, sur la tentation qu’ont eue un temps les autorités françaises de soutenir Karim Wade.

Vous aviez quitté Dakar avec l’idée que le clan Wade avait obtenu votre tête. Aujourd’hui, Karim Wade est derrière les barreaux. Vous êtes surpris par sa garde à vue ?
Non. Je ne pense d’ailleurs pas qu’il a obtenu ma tête, parce que je suis resté trois ans. C’est une tête qui a mis du temps à tomber... Trois ans, c’est la durée normale de séjour d’un ambassadeur.
Mais c’est vrai que les rapports avec la famille Wade ont été toujours délicats pendant mon séjour. Mais c’est une vieille histoire, cette affaire des soupçons autour des activités de Karim Wade. Je ne suis pas étonné que l’on débouche sur la procédure actuelle.
Karim Wade est soupçonné d’enrichissement illicite. La Cour de répression de l'enrichissement illicite estime ses avoirs à plus d’un milliard d’euros. Est-ce que la somme vous semble plausible ?
Il y a une procédure en cours, il faut la respecter. Elle se passe au Sénégal, mais il faut la respecter exactement de la même manière que si elle se passait en France. On n’a pas à commenter les décisions de justice. Il y a un système judiciaire au Sénégal qui est tout à fait capable de faire la lumière là-dessus.
Ce qui ne me paraît pas très étonnant, et que tout le monde savait là bas, c’est que toutes les activités de Karim Wade lui avaient rapporté beaucoup d’argent, c’est certain. Des activités multiples, qui étaient quand même toujours liées à la politique. Quand il est arrivé à des responsabilités, il n’avait pas de fortune particulière. C’est un garçon jeune, d’abord, qui avait travaillé à Londres dans un cabinet financier. Maintenant, sur le montant, je ne peux rien dire. Mais je ne suis pas surpris.
Le substitut du procureur a parlé, mardi 16 avril, d’une véritable ingénierie financière, avec des montages ultras complexes, des prête-noms, des sociétés off-shore. Ces informations circulaient-elles déjà lorsque vous étiez ambassadeur ?
Oui. Vous savez que l’une des raisons des difficultés que j’ai pu avoir avec la famille Wade, c’est que, précisément, il y avait déjà à ce moment-là des manœuvres pour éviter que Karim Wade ne soit interrogé et ne rende des comptes. À l’époque, c’était surtout sur son activité à la tête de l’organisation de l’OCI. Cette institution, qui devait organiser le sommet de l'OCI, avait brassé beaucoup d’argent de façon un peu mystérieuse.
L’actuel président, Macky Sall, était à époque président de l’Assemblée nationale. Il avait demandé des explications à Karim Wade. Cette simple requête était apparue au père, au président Wade à l’époque, comme une sorte de crime de lèse-majesté. Le président Wade avait alors changé la Constitution, pour changer la durée du mandat du président de l’Assemblée nationale, et, au fond, déposer Macky Sall. C’est quelque chose qui remonte très loin. Et Macky Sall a traversé des moments très difficiles à la suite de cette épreuve.
Ces manœuvres-là, vous les répercutiez en France ? Quelles étaient les réponses des autorités françaises d’alors ?
Bien entendu. Ma thèse a toujours été simple. Le Sénégal est un pays qui a une longue habitude de la démocratie. Le peuple sénégalais est habitué à choisir ses dirigeants par le vote, ce n’est pas si courant en Afrique. Il y a une vraie culture démocratique qu’il nous faut respecter. Ce que j’ai dit, c’est que nous n’avions pas, nous Français, à prendre parti. Et surtout pas à prendre parti pour Karim Wade. S’il avait été élu démocratiquement, et bien nous devions nous ranger évidemment au suffrage qui aurait été exprimé. Mais s’il n’y arrivait pas, ce n’était pas à nous de le pousser.
Vous savez qu’à l’époque, toute l’activité du président Wade - ce qui a d’ailleurs entraîné sa chute à mon avis - consistait à vouloir entrer dans un processus, qui n’était plus un processus démocratique, mais un processus de dévolution en quelque sorte monarchique du pouvoir à son fils. Et ça, je m’y suis totalement opposé, depuis le début.
La France a-t-elle été la complice de ces manoeuvres ?
Finalement non, parce que l’activité d’un certain nombre d’entre nous, à commencer par moi, a montré que cela aurait été une très grave erreur. On l’a vu, au moment de l'élection de 2012 : la France s’est abstenue de peser dans un sens ou dans un autre. Elle a laissé le processus démocratique se dérouler. Ce qui a abouti à l’alternance, au départ du président Wade. Mais ce n’était pas gagné.
Je pense que la tentation a existé, pendant un certain temps, du côté des autorités françaises - du côté des plus hautes autorités à l’époque, c’est-à-dire du président de la République - de montrer des signes qui auraient pu laisser entendre que Karim Wade était le candidat de la France. Finalement, cela n’a pas été le cas, et c’est tant mieux.
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