Lorsqu’en 1943, à peine âgé de vingt ans, Howard Zinn s’engage dans l’armée américaine pour venir combattre le fascisme en Europe, s’est avec la conviction qu’il s’engage dans une « guerre juste ». Rien ne laisse alors présagé qu’il écrira bien plus tard dans l’un de ses ouvrages, « l’une des pires conséquences de la Seconde Guerre mondiale est sans doute d’avoir confirmée l’idée qu’une guerre pouvait être juste¹ ». Historien, intellectuel engagé, militant, il ne va cesser sa vie durant de déconstruire cette notion, notamment en s’appuyant sur l’exemple de la « guerre juste » menée par les américains contre le fascisme entre 1941 et 1945.
Le racisme des américains étaient-ils plus acceptable que celui des nazis ?
Bien avant de dénoncer la guerre et son cortège d’absurdité, Howard Zinn en fut un acteur. Lors de la seconde guerre mondiale, sa volonté de combattre le racisme, le nationalisme, l’impérialisme, mais aussi son insouciance et sa méconnaissance de la réalité le font s’engager dans l’armée de l’air américaine.
Entre le 14 et le 15 Avril 1945, alors qu’il appartient à la 490° escadrille de bombardement, il participe au tout premier usage massif de napalm lors du bombardement de la ville de Royan (Charente-Maritime, France). Eloignée du front, cette petite ville de la côte atlantique dans laquelle s’étaient réfugiés plusieurs milliers de soldats allemands, avait déjà subit des bombardements meurtriers quelques mois auparavant. Durant deux jours, près d’un million de litres de napalm y seront déversées, transformant Royan en un champ de ruines.
L’absurdité de ce bombardement, auquel il avait participé et qui n’était voué qu’à tester un nouvel armement, marqua à jamais sa vie et son engagement contre la guerre et plus particulièrement contre la notion de guerre juste.
Quelques mois auparavant, il embarquait à bord du Queen Mary pour l’Europe. Rapidement, confronté à la réalité du terrain, il perdait ses illusions. Si les Etats-Unis étaient venus porter secours aux forces alliées sur le vieux continent s’était avait tout, se disait-il, pour stopper le règne de la violence et vaincre le fascisme. Pourtant, au sein même de l’armée à laquelle il appartenait, la ségrégation raciale sévissait.
Lors des entrainements, soldats noirs et soldats blancs étaient séparés. Durant la traversée de l’Atlantique, « les quatre milles soldats noirs qui se trouvaient à bord » étaient « cantonnés à fond de cale » et « mangeaient bien entendu les derniers² ». Ainsi, les Etats-Unis venaient en Europe pour combattre la haine et l’intolérance des régimes fascistes mais y contribuaient pleinement, au sein même de leur propre armée, en pratiquant la ségrégation raciale. Le racisme des américains étaient-ils plus acceptable que celui des nazis ?
Le 7 décembre 1941, l’armée de l’air japonaise attaquait la base militaire américaine de Pearl Harbor, provoquant des pertes humaines et matérielles considérables. Cet événement ne déclencha pas seulement l’entrée en guerre des Etats-Unis, il fut aussi à l’origine d’une importante vague de racisme antijaponais dans l’ensemble de la société américaine. Une réaction légitimée par le comportement de l’Etat quelques semaines plus tard.
Le 19 février 1942, le président Franklin Roosevelt signait le décret 9066 autorisant la capture et l’enfermement dans des camps, sans inculpation ni procès, de tout japonais ou descendant de japonais vivant sur la côte ouest (le Canada en fit de même). Ainsi, près de 110 000 personnes, dont une grande partie de citoyens américains, seront arrêtées, déportées et enfermées sur un simple critère ethnique. Drôle de comportement pour une Etat se déclarant ennemi du fascisme…
Affiche indiquant aux japonais et descendants de japonais les modalités du décret 9066« Aucune fin, aussi noble soit-elle, ne peut justifier la violence collective qui explose en cas de guerre ou de troubles civils, parce que l’issue n’en est jamais certaine«
Cet épisode de la seconde guerre mondiale n’est pas sans rappeler la réaction que susciteront les attentats du 11 septembre 2001 aux Etats-Unis. Là aussi le bon sens ne pourra rivaliser avec les amalgames et les peurs irrationnelles. Des peurs entretenues par les pouvoirs publics une fois de plus. Il fallait justifier auprès de l’opinion les futures interventions en Afghanistan et en Irak. Les arabes et les musulmans devinrent des dangers pour la nation comme les japonais le furent après Pearl Harbor. « La peur de l’ »ennemi » détient le fondement même de la politique imposée par une poignée de politiciens qui ne se sentent liés, par aucune règle constitutionnelle, aucune contrainte de décence, aucun engagement envers la vérité¹ ».
C’est ce type de comportement qui va faire s’interroger Howard Zinn sur les objectifs invoqués en temps de guerre et plus particulièrement en temps de « guerre juste ». »Toutes les raisons avancées pour justifier la guerre ou les préparatifs de guerre, légitime défense, sécurité nationale, liberté, justice et nécessité de contrer une agression armée, sont irrecevables. Aucune fin, aussi noble soit-elle, ne peut justifier la violence collective qui explose en cas de guerre ou de troubles civils, parce que l’issue n’en est jamais certaine. Toute personne sensible et raisonnable se doit de conclure que lorsque les fins, aussi souhaitables soient-elles, sont incertaines et les moyens horribles et assurés, il ne faut pas user de ces moyens¹ ».
La première guerre mondiale, qui fit 10 millions de morts, devait être la « der des ders » et pourtant trente ans plus tard, une seconde guerre mondiale était déclenchée en Europe. Si les régimes fascistes tombèrent, les « ingrédients du fascisme – le militarisme, le racisme, l’impérialisme, la dictature, le nationalisme exacerbée et la guerre -, survécurent sans problèmes à la guerre ». En 2001, les Etats-Unis et leurs alliés envahirent l’Afghanistan dans le but « d’éradiquer le terrorisme ». Ils quittent aujourd’hui le pays les uns après les autres sans que leur objectif n’ait été atteint.
« La guerre est la forme la plus extrême du terrorisme¹ »
Toujours dans sa volonté de démystifier la notion de guerre juste, Howard Zinn se pencha sur la question de l’utilité des bombardements aériens. Dans plusieurs ouvrages, il se remémore ce que fut sa réaction au moment des bombardements d’Hiroshima et Nagasaki en août 1945 : « Ma femme Roslyn et moi (…) étions contents, nous ne savions pas ce qu’était une bombe atomique, mais il s’agissait manifestement d’un événement d’envergure, laissant présager la fin de la guerre contre le Japon³ ». En effet, le Japon capitula quelques jours après, le 15 août. Cependant, il y avait déjà bien longtemps que l’armée nippone envisageait la fin de la guerre.
En effet, bien avant les terribles bombardements d’août 1945, américains et japonais négociaient la fin de la guerre. Cependant, les Etats-Unis refusaient de permettre au Japon de garder son empereur (seule condition de capitulation exigée par les nippons). Les bombardements d’Hiroshima et Nagasaki auraient inévitablement pu être évités. Cependant, la guerre perdura et les 6 et 9 août, 140 000 puis 70 000 personnes trouvèrent la mort dans des conditions atroces. « Faire la guerre, ce n’est presque jamais détruire les tyrans mais tuer leurs sujets, leurs pions, leurs soldats, leurs populations opprimées ».
L’horreur passée, les américains consentirent finalement à accepter ce qu’ils refusaient jusque-là, que l’empereur Hirohito conserve son titre. Des dizaines de milliers de japonais innocents venaient donc de mourir uniquement pour permettre aux Etats-Unis d’effectuer une démonstration de force face à l’URSS. Les bombardements d’Hiroshima et Nagasaki étaient en réalité le premier acte de la guerre froide. A la barbarie du nazisme les Etats-Unis, qui effectuaient eux une « guerre juste », opposèrent la barbarie impérialiste.
« Quand on est né de la dernière pluie et qu’on ignore tout du passé, on peut aisément gober tout ce que dit le gouvernement. Mais lorsqu’on connaît un peu son histoire – même si cela ne prouve pas nécessairement que le gouvernement ment en certaines occasions-, on est en droit d’être un tantinet sceptique, de poser quelques questions et, mieux encore, de chercher à connaître la vérité² ».
Notes et sources :
¹ Howard Zinn, Désobéissance civile et démocratie, Agone, Marseille, 2010
² Howard Zinn, L’impossible neutralité, Agone, Marseille, 2006
³ Howard Zinn, La bombe, De l’inutilité des bombardements aériens, Lux Editeur, 2011
4 Howard Zinn, Une histoire populaire des Etats-Unis, Agone, Marseille, 2002