Article de Svetlana BABAEVA sur Ria Novosti
Irlande, Portugal, Espagne, Chypre… Les problèmes s’abattent à la chaîne sur les pays européens. A qui le tour? Vendredi et samedi derniers, les 17 ministres des Finances de l’Eurogroupe se sont réunis à Dublin pour évoquer l’avenir de la zone euro et le modèle européen en général.
La situation ne s’améliore pas en Europe. Le délai de remboursement des emprunts de l’Irlande et du Portugal pour le sauvetage de leur économie ont été prolongés afin qu’ils puissent « revenir sur les marchés » plus en souplesse après avoir rempli leurs programmes anticrises. Autrement dit pour que l’argent bon marché demeure dans ces pays. Pourquoi ? Cela leur éviterait d’émettre des obligations qui ne pourront pas, en l’état actuel des choses, bénéficier d’un taux d’intérêt acceptable.
Chypre ne s’arrêtera pas là. Car les 10 milliards d’euros d’aide récemment accordés par l’Eurogroupe – qui n’arriveront que mi-mai dans le pays – ne suffisent pas : l’économie a déjà besoin de 23 milliards d’euros. Même si les ministres européens n’apprécient pas du tout cette idée. Selon eux 10 milliards d’euros, c’est déjà trop.
L’Europe continentale n’apprécie pas Chypre. En cause : son laxisme de paradis fiscal et la présence excessive d’argent russe dans le système bancaire du pays. Pratiquement tous les commentaires occidentaux sur Chypre soulignent que l’argent des oligarques russes ne doit pas être sauvé grâce sur les fonds de l’UE. Toutefois, cette aversion a une explication purement pragmatique : la part de Chypre dans le PIB de la zone euro est si insignifiante qu’on peut, en quelque sorte, négliger ce pays. Le fait que les banques ferment, que l’économie s’effondre et que les Chypriotes perdent leur travail – et pas les oligarques russes – est rarement mentionné. Cela ne suscite aucune inquiétude ou regret.
Avec le Portugal et l’Irlande, le ton était complètement différent pendant la réunion : la prolongation des délais de remboursement de leurs emprunts y a été qualifiée de récompense « pour bonne conduite ».
Durcissement de la discipline financière, administration fiscale minutieuse et blocage des échappatoires pour la fraude fiscale étaient à nouveau à l’honneur pendant la réunion de l’Eurogroupe. Le Portugal n’est pas encore suffisamment discipliné d’après les recommandations de l’UE et du Fonds monétaire, tandis que l’Irlande est exemplaire. Telles sont les conclusions des ministres réunis à Dublin.
Il est trop tôt pour se réjouir : la Slovénie s’est invitée dans ce grand concert d’inquiétudes. Elle pourrait suivre Chypre de près dans la liste des pays en difficulté. Les autorités slovènes n’ont pas encore demandé d’aide financière en pensant maîtriser la situation mais la préoccupation demeure dans la zone euro.
Si elle en faisait tout de même la demande, la Slovénie serait le sixième pays des 17 membres de la zone euro à recourir à cette aide extérieure. Alors qu’un tiers de la communauté européenne éprouve de grandes difficultés, le sort de tous est remis en question.
Pour l’instant, les prévisions ne sont pas rassurantes : la stagnation de l’économie européenne va se poursuivre ; la crise ne se dissipera pas rapidement. Bien que les ministres citent aujourd’hui l’Irlande en exemple de réussite des plans anticrise, cela ne signifie pas pour autant que toutes les disproportions globales de l’Europe pourront être réglées immédiatement.
Car le problème ne se réduit pas aux emprunts excessifs et à l’indiscipline financière : il est bien plus profond et systémique. Beaucoup d’experts sont convaincus d’assister à la fin d’un modèle financier et économique qui a régné pendant les cinquante dernières années sur l’Europe et l’Amérique.
Le monde occidental a trop dépensé et vécu au-dessus de ses moyens. Aujourd’hui ce n’est plus possible et il faudra s’habituer, péniblement, à une existence plus modeste. Les puissants programmes sociaux de retraite ou d’éducation disparaitront, il sera impossible d’emprunter en accumulant les dettes, les ménages ne pourront plus dépenser autant d’argent – gagné ou à crédit -comme cela se pratiquait encore récemment aux Etats-Unis.
Les recherches montrent également que la productivité en Europe est en baisse, que les marchés du travail ne sont pas suffisamment souples et que les « innovations sont substituées par des imitations ». L’Europe a trop longtemps cherché à ignorer ses propres lacunes.
Dans toute l’Union européenne, on évoque la nécessité urgente de procéder à des réformes structurelles. Sans pour autant préciser une chose : comment pourront-elles être mises en pratique si elles entraînent une détérioration significative du bien-être de la population, c’est-à-dire de l’électeur ? Par conséquent, tout homme politique engageant des mesures douloureuses serait condamné. De toute évidence, l’Europe sera prochainement confrontée à ce dilemme.
Aux problèmes macroéconomiques et structurels s’ajoutent inévitablement deux autres facteurs. Premièrement : la disparité considérable entre les économies au sein de la zone euro. Comme s’il ne fallait pas imposer dès le départ la monnaie commune aux pays qui n’arrivaient pas à la cheville de la France et de l’Allemagne. Par exemple, Chypre et la Slovénie ont adopté l’euro : alors que faut-il faire aujourd’hui avec ces pays ?
Mais c’est ici qu’intervient le second facteur : le retour à la monnaie nationale. D’une part, certains pensent que la Grèce, sans parler de Chypre, pourrait mieux évoluer en dehors de la zone euro. Les prix chuteront, donnant un grand coup de pouce au tourisme, la monnaie nationale bon marché contribuera aux exportations et il ne faudra plus écouter les exigences de la Banque centrale européenne.
D’autre part, tout le monde est conscient que la sortie de l’espace monétaire commun infligerait un immense préjudice à l’ensemble de l’Union européenne. Ce qui pourrait avoir des conséquences à côté desquelles les centaines de milliards d’aide financière paraitraient un prix dérisoire à payer pour l’espace économique et financier commun.
Ce serait la fin de l’Europe sous sa forme actuelle. Personne ne le souhaite. Mais certains scénarios sont inévitables. La question est de savoir à quel point ils seront douloureux pour l’Europe et pour le reste du monde. Et quelles leçons en seront tirées.
Source: Ria Novosti