Max | Le retour

Publié le 18 avril 2013 par Aragon
L'histoire est entièrement vraie puisque je l'ai imaginée d'un bout à l'autre
Boris Vian
Nous nous retrouverons quand nous serons vieux, très vieux
Elle

Je devais partir et je suis parti, ça s'est fait assez rapidement mais j'ai su avant de partir que tu devais être ce soir-là en cet hôtel-restaurant du front de mer que je connaissais bien, pour cette fête des saisons et de la mer, cette fête si particulière en ce pays, je me suis dit dans l'avion que quoi qu'il m'en coûte je reviendrai. Je ne pensais pas au prix du voyage de retour.

À peine arrivé j'ai tout mis en oeuvre pour repartir dans l'autre sens. Je ne repris pas mon travail, je restais à Paris, j'ai marché quelques jours, au hasard, à mon gré, pour voir, pour me sentir. Il faisait si beau, si bon en ce temps de l'année. Que c'était drôle d'arpenter les rues, que c'était doux. L'île de la Cité, le jardin des Tuileries, ces rues que je connaissais par coeur. Je pris un hôtel je ne sais plus où, il n'était pas très propre mais il y avait un type bien gentil à l'accueil, une guitare était posée par terre sur le champ près de son fauteuil, une guitare flamenco, une canne blanche d'aveugle était posée contre le mur. J'ai pris un billet d'avion le quatrième jour, je n'ai pas appelé ma société, je ne pensais pas à eux, je m'en fichais, je pensais à toi. Je n'ai pas appelé à la maison pour annoncer mon retour, de toute façon ils s'en fichaient, ils savaient que j'allais bien ça leur suffisait, je pensais à toi.

Le voyage de retour fut long, si long, il y eut des turbulences à maintes reprises, j'ai beaucoup bu le coeur en fête, je revenais. Un moment, je ne sais plus trop quand dans le voyage, j'aperçus l'océan bien en-dessous de moi, le ciel s'était vidé de ses nuages, je voyais l'eau qui semblait briller si loin, si bas. Le jour de mon arrivée correspondait à celui de la fête des saisons et de la mer. J'ai foncé fébrilement, déterminé, joyeux et si léger. J'ai pris une chambre à l'hôtel, me suis changé, un pantalon, une veste dans le même ton vert, assez sombre mais doux, ma chemise était très belle, dans les tons vert marron à touts petits carreaux floutés, pourquoi vois-je cette chemise avec tant d'acuité ? J'étais beau, je le savais pour la première fois de ma vie, je ne sais pas si j'avais des cheveux. J'étais heureux.

Le soir s'en venait, la nuit tombe bien vite là-bas, j'ai franchi en deux bonds la haute volée de marches blanches qui menaient à la salle en terrasse, blanche elle aussi, plein ciel et donnant sur la mer. Sur ma table réservée une assiette brûlante de ce plat unique qui serait servi ce soir, c'était de la langouste dans une sauce dont je ne me souviens plus du nom, incroyablement bonne, parfumée, intrigante et goûteuse. J'étais assis depuis moins de cinq minutes quand trois filles sont arrivées, jeunes, très jolies toutes les trois. Elles se sont assises juste une table à côté de la mienne, c'est alors que je t'ai reconnue. Tu étais là. Tu m'as vu et tu as souri sans dire un mot, sans presque me regarder. J'ai vu l'instant d'une seconde l'éclat de tes yeux verts. Oh ! Ce sourire, je t'avais dit un jour que ton sourire je l'avais retrouvé sur le visage d'une des filles que Mantegna avait placé en son Parnasse, chez Piero, chez le Titien aussi, tu as un si beau sourire italien.

Tu étais habillée presque comme moi, je veux dire dans les tons verts aussi, je ne vois plus très bien tes vêtements, oui, ta jupe de coton fin, mais ton incroyable sourire italien est encore visible dans ma mémoire. Tu as un visage ordinaire mais qui s'illumine par ce sourire incroyable qui recompose tes traits, te rendent d'éternité modèle d'Andréa, Piero ou Tiziano, tu es si belle. On s'est toujours aimé, on le savait, on le sait, c'est ainsi.

Je me suis levé et me suis dirigé vers ta table et je t'ai dit juste deux pauvres mots en bafouillant un peu : "Je viendrai t'inviter à danser à la fin du repas..." Tu m'as dit :"Oui, bien entendu" en me regardant dans les yeux. En revenant vers ma table, j'ai bousculé dans l'émotion, oh, très légèrement, une autre table et la fille qui y était installée, qui avait entendu mon invitation à danser, m'a dit très gentiment, pince sans rire, que je ne perdais pas de temps, quelque chose comme ça. Je lui ai répondu du tac au tac en bafouillant toujours qu'il y avait si longtemps que je savais que je danserai, que c'était réservé sur le carnet de bal. 

Revenu à ma table je goûtais à mon plat de langouste, c'était incroyablement bon, la sauce était divine, quelque petits morceaux de carapace, un peu comme de très petites dents de peigne, craquaient sous mes dents, c'était légèrement désagréable comme sensation mais le plat était si bon. Elle me regardait, je mangeais...