Connaissez-vous TINA ?
Bien sûr que vous la connaissez. Elle est partout. Parfois chez nous, chez vous. TINA est ce réflexe qui nous étreint quand tout semble impossible. TINA est ce prénom qui résume notre incapacité individuelle ou collective à sortir du cadre. TINA est aussi un slogan que l'on jette à la figure de l'adversaire quand on peine à trouver soi-même une argumentation plus forte. TINA est une horreur de faux-débat.
TINA, There Is No Alternative.C'était un slogan de Margareth Thatcher, enfin enterrée hier quelque part en Angleterre, protégée par 4.000 policiers. Certains Britanniques, nombreux, ont de la mémoire.
Il n'y a pas d'alternative.
Justement, en quelques heures, trois jours à peine, nous eûmes un nouvel épisode de la série TINA si médiatique, sur un sujet adéquat, les prévisions de croissance.
Le jeu de Mme Irma
La séquence débute vendredi quand des prévisions de croissance Haut Conseil des Finances Publiques, une énième autorité indépendante constituée par l'équipe Hollande, sont fuitées par les Echos. Patratas ! Nos "Sages" seraient plus pessimistes que le gouvernement français sur l'évolution prochaine de notre production nationale.
Mardi, on poursuit: le Haut Conseil rabaisse effectivement mais modestement les ambitions gouvernementales: «un léger recul du PIB en 2013 et une croissance sensiblement inférieure à 1,2% en 2014 ne peuvent être exclus». Car, explique-t-il: «Le scénario pour les années 2013 et 2014 est entouré d’un certain nombre d’aléas qui, dans leur ensemble, font peser un risque à la baisse sur les prévisions»
Puis le FMI dirigé par Christine Lagarde, l'ancienne ministre des Finances de Nicolas Sarkozy, ajoute sa pierre à l'édifice: il penche pour une récession cette année, -0,1% du PIB par rapport à 2012, puis une maigre croissance limitée à 0,9% en 2014.
Aussitôt, le jeu démarre. La nouvelle, un peu occultée par la confession télévisée de Jérôme Cahuzac sur BFMTV, est archi-commentée, et tourne en boucle dans l'espace médiatique. Comment la France construira-t-elle son plan de retour à l'équilibre des comptes si ses prévisions initiales, à savoir une hausse du PIB de 0,1 % cette année puis de 1,2 % en 2014, sont remises en cause. Un prétendu expert de l'UMP, le sénateur Philippe Marini, supporteur de la quasi-totalité des budgets sarkozyens qui crevèrent tous les plafonds du déficit et de l'endettement, exhorte le gouvernement à détailler ses pistes d'économies budgétaires. Le gars n'avait pas autant d'enthousiasme critique quand son candidat à la réélection livrait benoitement, voici un an, qu'il redresserait les comptes qu'il avait plombé avec 45 milliards d'effort budgétaire non identifié. Mais passons... Il fallait bien que quelqu'un s'agite trop tôt, c'est chose faite. Car il est évident que l'étape budgétaire sera franchie - chaque année, ce pays se dote d'une loi de finances à l'automne qui justement donne la réponse finale à ces aternoiements.
Le report de l'équilibre
Mercredi, le Conseil des ministres est l'occasion forcée donnée à Pierre Moscovici pour dévoiler comment il retient ces nouvelles hypothèses devenues nouvelles contraintes. Car n'oublions pas l'essentiel: ce ramdam nait d'une agitation de statisticiens. On détaille l'enchevêtrement des prévisions: la consommation des ménages, l'investissement des entreprises, la progression des salaires. On découvre, au passage, quelques jolies surprises qui interrogent: le Haut Conseil estime ainsi que les salaires devraient globalement progresser de 1,9% cette année, puis 2,4% en 2014. Allo, Mme Irma ?
Mercredi donc, Mosco prévient: la France aspire officiellement à réduire son déficit budgétaire à 0,7% du PIB dans 4 ans. "L'objectif du gouvernement est toujours de revenir à l'équilibre structurel d'ici à 2017, de parvenir à la croissance la plus forte possible, de réussir à inverser la courbe du chômage dès la fin de l'année 2013." Mais le syndrome TINA agit encore: "la France renonce à l'équilibre budgétaire pour 2017" titre le site de francetélévisions. Au moins sentions-nous un peu de moqueries dans l'affirmation.
La France, officiellement, demande "à ses partenaires européens de repousser l'objectif de déficit public sous les 3% de 2013 à 2014". C'est heureux, indispensable, évident. A gauche, certains réclament le
Et voici, c'était fait. TINA était à l'oeuvre. Le débat politico-médiatique du moment se fige sur cette problématique de dixièmes de point de croissance et d'un programme de stabilité européen. Car TINA a sa novlangue. La déstabilisation sociale à l'oeuvre dans une fraction de l'Europe s'appelle "programme de stabilité".
Que retenir de cette séquence ?
Avec les mêmes prémisses - y-aura-t-il suffisamment de croissance à Noël ? - le débat aurait pu se concentrer sur l'emploi et non seulement nos indispensables comptes. Quelle meilleure croissance pour l'emploi ? Pourquoi cette question n'est jamais posée ?
Il faut reconnaître que le débat expulse facilement les voix discordantes. Les positions du Parti de Gauche, trop incarnées par Jean-Luc Mélenchon, deviennent des postures de combat. Nulle place à l'argumentation ni au débat. Il s'agit, dans l'éditocratie donc dominante, d'effacer en assimilant les "extrêmes", de diaboliser rapidement pour évacuer aussi rapidement. Ecouter ces "extrêmes" permettrait pourtant de comprendre les alternatives, leur valeur, leur "soutenabilité".
Mais cette question n'est jamais posée comme cela.
Margareth Thatcher a pourtant été enterrée hier.
(Crédit illustration)