Des oraisons funèbres malmenées par les réseaux sociaux

Publié le 18 avril 2013 par Artetmanieres @ArtetManieres

L’humanité perd chaque jour de ses représentants plus ou moins illustres, la plupart du temps dans un anonymat crépusculaire. Il semble malheureusement que nos déviances numériques aient clairement décidé de mettre à mal quelques délicieuses traditions pour jeter la mort en pâture aux internautes assoiffés de sang que la place grandissante de la rubrique « chiens écrasés » dans leur quotidien régional préféré n’aurait pas pleinement rassasiés.

Planche de sapin brut, un parfum qui sent bon la tradition

Je vous parle d’un temps que ceux l’ayant connu ne sont plus là pour raconter, ou alors après vous avoir demandé 34 fois votre nom et 56 fois quel jour on est. A cette époque, on savait faire preuve de respect envers la disparition des gens vraiment importants, et les starlettes d’un jour se faisaient discrètes à l’heure du départ. Ce qui, globalement, était une bonne chose vu qu’il n’y avait pas de place pour tout le monde dans les pages décès du Figaro. Les pauvres mourraient chez eux et ça n’intéressait personne, les riches mourraient chez les autres, ou chez Madame Claude qui hébergeait couramment leurs nièces, et ça nous donnait au moins un joli défilé en costume pour les funérailles nationales, et des fois même un jour férié ! Aujourd’hui, un petit tweet et puis s’en va. Même Frédéric Mitterrand finît par auto-plagier ses oraisons tant le rythme des soldats de l’inutile tombés au champ d’honneur lui donnait l’impression d’assembler les vers comme des Ford T à Détroit.

La déliquescence du savoir-mourir

Au moins, quand c’était fait par des professionnels, on savait respecter la mémoire des défunts. La pauvre Margaret Thatcher, ayant œuvré toute sa vie pour être détestée du plus grand nombre des habitants de la perfide Albion a, de façon absolument imprévisible, bénéficier d’un tsunami de sympathie sur Twitter une fois passée de vie à trépas. Autant vous dire qu’elle a dû se retourner dans son trou fraichement creusé et je peux vous annoncer qu’il y a deux ou trois forgerons syndiqués à la Confédération Infernale des Employés du Styx qui vont avoir du mal à défendre leurs acquis sociaux. A leur décharge, les twittos ont du mal à reconnaître les morts importantes des autres, vu qu’aujourd’hui, tout le monde meurt pareil. C’est-à-dire soit de vieillesse, soit d’une overdose d’un truc quelconque, vraiment dangereux et souvent interdit, soit enfin d’une écoute prolongée du dernier album d’Alizée. Autrefois, on avait autrement plus d’imagination ! Le Pape Pie XII choisit le hoquet, Claude François essaya d’inventer le canard de Sonia Rykiel avant l’heure et David Carradine fit la séance de bondage de trop. Mais que voulez-vous, les traditions se perdent. A part en Italie où on a au moins préservé le bon goût d’afficher les têtes des morts sur les murs. C’est quand même plus délicat que les révolutionnaires qui les mettaient sur des piques, si elles étaient couronnées, ou dans un panier, quand passait la troisième lame du Gillette Fusion Proglide, celle qui fait qu’après, ça ne repousse plus. L’avantage de cette belle coutume transalpine c’est que comme ça, quand on  retrouve des suicidés, au fond du port de Naples, un bloc de béton attaché aux pieds, cela met nettement moins de temps pour les reconnaître, pour peu que leur séjour aquatique n’ait pas trop duré…

Le panthéon des chanteurs morts

Au delà de deux ou trois bienfaiteurs de l’humanité qui auraient de toutes façons eu les honneurs des gazettes (l’Abbé Pierre, Kim Jong-Il ou Pol Pot), la plupart des personnalités qui bénéficient d’une épitaphe publique via twitter n’ont eu pour seule contribution au Patrimoine culturel immatériel de l’humanité que quelques cris poussés sur un fond musical à mi-chemin entre un jingle RTL et la boucle easy-listening diffusée dans l’ascenseur de ma Caisse Régionale d’Assurance Maladie préférée (et après on se demande pourquoi les gens qui y travaillent sont malheureux). Et chaque jour de nous garnir le panthéon des chanteurs morts. Quand Elvis (qui n’est pas mort, je vous le raconterai un jour, mais qui fait parfois des allers-retours pour aller voir les potes), John Lennon et Bob Marley ont vu arriver Ravi Shankar, ils ont dû souffler un peu et retrouver foi en Appolon. Faut dire que jusqu’ici, on les avait soignés en leur adressant en vrac Mike Brandt, Joe Dassin, Dalida, Franck Alamo, Gérard Rinaldi et Bézu (il est pas mort Dave ?!). Il y avait de quoi flipper un peu non ?! Si j’avais dû mettre un euro dans le nourrain de Maître Cappelo (dont je vous ai déjà dit mon attachement) à chaque fois que j’ai lu un #RIP pour un mec dont la notoriété n’avait pas dépassé les limites du Boischaut Sud (un bien bel endroit au demeurant), je pourrais largement produire le premier album de Cindy Sander.

Il n’y a bien que TF1 qui n’a pas compris qu’après 48 heures, un chanteur mort est périmé et ne risque pas plus de se retrouver en trending topic que la sextape de 1996 de mon copain Jérôme. Ils honorent les glorieux anciens du mauvais goût en nous infligeant des « duos de l’impossible » où un chanteur vivant (bon, plus ou moins quand c’est Johnny ou Charles Aznavour…) côtoie l’hologramme d’un confrère qui l’est beaucoup moins (vivant) un peu comme dans Nosferatu, le talent de Murnau en moins. Au moins Patrick Sabatier se sera assuré un minimum de tweets pour ses vieux jours…

BL.

PS : pour vous montrer que je ne suis pas anti-twitter, je vous autorise à me suivre sur @ArtetManieres

Illustration ©Twicsy