THE GRANDMASTER
de Wong Kar Wai
« Le kung-fu, c’est deux mots. L’horizontale, la verticale. Seul le vainqueur reste debout. »
Chez Union Street comme souvent chez Wong Kar-Wai il y avait deux choix: envoyer le fan de films d’arts martiaux ou le fan de Wong Kar-Wai à l’avant première. Le premier étant pris, c’est donc celui qui ne supporte pas les films de combat qui n’y est malgré tout pas allé à contre coeur. On l’aura assez entendu, « The Grandmaster » est l’histoire d’Ip Man le mentor de Bruce Lee, et ce n’est pas le premier à en parler. Un film sur le Kung-Fu donc. Seulement il est réalisé par un autre maître: Wong Kar-Wai. Ce n’est donc plus un simple film de combat, mais une oeuvre riche et personnelle sur la philosophie et la transmission d’un art entre générations.
L’histoire commence ensuite: un grand maître de l’ordre des arts martiaux chinois cherche un successeur. Il y a donc Ip-Man (dont la spécialité est le Wing Chu) mais aussi d’autres disciples incontournables et extrêmement doués comme La Lame ainsi que la fille du grand maître en question: Gong Er.
Wong Kar-Wai se serait intéressé à Ip-Man après avoir vu une vidéo personnelle de celui-ci à la fin de sa vie ayant demandé à un membre de sa famille de le filmer. On le voit âgé, amaigri, exécuter difficilement les 108 figures du Wing Chu jusqu’à ses dernières forces. Et c’est aussi de ça que le film parle essentiellement, de ces maîtres désirant transmettre leur savoir aux nouvelles générations pour faire vivre cet art. Ce désir de léguer une connaissance, une tradition, mais aussi d’apprendre. Apprendre des autres et s’enrichir constamment. On le verra dans le film, Ip-Man n’est pas intéressé par l’argent, celui qui est né d’une famille extrêmement riche perdra toute fortune, mais ne fera jamais rien pour en gagner avec son art. Pour lui cette connaissance n’est pas à vendre, elle doit être à la portée de tous.
Wong Kar-Wai couvre une grande période de l’histoire de la Chine dont la résistance face à l’occupation japonaise, la guerre civile jusqu’à la colonisation britannique à Hong Kong. On assiste à l’évolution de ces personnages au milieu de ces événements historiques qui marquèrent le pays. Nous avons donc Tony Leung, qui a du suivre un entraînement rigoureux pour son rôle. Un acteur immense, toujours plein de retenue et de douceur pour un personnage aussi fort, une force qui n’est pas que physique, mais aussi mentale. On est ici bien loin des héros clichés du genre, seuls centres d’intérêts, frappants tout à tout bout de champ. Leung donc, toujours aussi charismatique et dont le réalisateur a bien raison de ne pas se séparer au fil des années. Mais il y a également la magnifique Zhang Ziyi plus habituée au genre.
L’autre scène de combat qui marque (on ne va pas les citer unes à unes car oui elles sont toutes magnifiques et plus où moins marquantes), qui se détache surtout du reste est celle où ces deux personnages s’affrontent. Une scène à nouveau admirablement filmée, où ce qui commence comme un duel des plus communs devient petit à petit un ballet, voire presque une scène d’amour dans l’image de ces corps qui se touchent si frontalement. Mais c’est étrangement lorsqu’ils se frôlent que naît encore plus de contact entre eux.
Mais c’est dans la dernière partie du film que l’on retrouve le plus les thèmes et la patte du réalisateur, et qu’on prend le temps d’explorer ses personnages. Les images sublimes sont cette fois-ci uniquement au service de l’histoire, de la psychologie de ses protagonistes et de leur nature.
C’est surtout dans ces moments là que le réalisateur excelle, quand il parle de la mélancolie, du temps qui passe et des rapports humains. Par exemple lorsque Tony Leung pose la main sur l’épaule de son épouse, cette image a plus de force que lorsqu’il s’en sert pour cogner un adversaire. C’est à partir des choses simples, des gestes les plus anodins et des regards qu’il fait naître ses personnages. Il nous montre un homme au parcours complexe face à la portée de ses choix. De ce qui s’est offert à lui, de ces amours qu’il aurait pu conserver et de celui qu’il ne connaîtra pas, comme souvent avec Kar-Wai.
Sans jamais oublier la place fondamentale des femmes dans les films du réalisateur. Le personnage interprété par Zhang Ziyi est peut être le plus fort du film. La condition dans laquelle celle-ci évolue et les décisions auxquelles elle sera confrontée, c’est bien elle qui est soumise aux questions et aux choix les plus durs.
Si il y a ici un certain scepticisme dû au genre et a une certaine idée (voire habitude) du cinéma de Wong Kar-Wai, force est de constater que « The Grandmaster » est tout simplement le plus beau film sur le sujet jamais réalisé.
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