Capitalisme. S’alimentant tous les jours à la source d’un système économique et financier globalisé dont le profit est la seule morale, que sont devenus les promesses de «régulation des excès de la finance» et autre «transparence des marchés»? Mieux: comment vouloir transformer en vertu des vices qui manquent à la conception? L’argent, en soi, n’est pas en cause. D’après les historiens, l’argent aurait vu le jour dans le monde grec, en Lydie, vers le VIe siècle avant Jésus-Christ. Les puristes rectifieront d’eux-mêmes: oui, il existait antérieurement, depuis deux millénaires à peu près, des moyens d’échange, des outils par exemple, et même un étalon de valeur, le bœuf, puisque le commerce le nécessitait. Le capitalisme, par contre, qui a adossé son projet de développement sur la maîtrise clanique des puissants sur des dominés précisément par l’accumulation du capital et la détention de tous les outils traditionnels de production, reste la clef de voûte de l’aliénation collective – signalons au passage que le «capitalisme financier», ainsi nommé par la novlangue, n’est qu’une étape, adaptée à notre temps, du capitalisme rendu à sa sauvagerie. Rappelons donc une banalité : depuis son origine, le capitalisme reste du capitalisme…
Poésie. Mauvais temps pour les progressistes, tant il se vérifie que «l’oubli du passé est mortel au progrès», comme le professe Régis Debray? Ne l’oublions pas, le néocapitalisme ne se résume plus à la propriété des moyens de production, réduits à l’état de moyens de spéculation. La colonisation du capitalisme s’est dorénavant répandue à l’économie de services, à la consommation la plus élémentaire et même à notre imaginaire créatif «googleisé». Dans le recueil de poésies qu’il publie chez Flammarion ces jours-ci, intitulé ''Configuration du dernier rivage'', Michel Houellebecq, avec sa ruse coutumière, sauve (malgré lui) la possibilité d’écrire en revisitant ce monde rendu aveugle par ses dominations. Il décrit :
«Il faudrait traverser un univers lyrique /
Comme on traverse un corps qu’on a beaucoup aimé /
Il faudrait réveiller les puissances opprimées /
La soif d’éternité, douteuse et pathétique.»
Une autre manière de voir ce qui saute aux yeux.
[BLOC-NOTES publié dans l'Humanité du 12 avril 2013.]