Soyons clairs : je n’essaie pas ici de défendre une profession qui n’aurait rien à faire de la santé du consommateur mais bien de remettre les choses en perspective : « Le pape, combien de divisions ? » demandait Staline. « La parfumerie, combien de malades ? » pourrait-on demander de façon apparemment cynique et en réalité non-dogmatique.
Faisons preuve de bon sens : si la parfumerie est nocive, alors combien de personnes ont vu leur santé atteinte par l’usage de parfums ? On entend parler d’allergènes, de mutagènes et de perturbateurs endocriniens, autant de mots qui font dresser les cheveux sur la tête… Mais dans les faits ? La commission européenne elle-même se révèle incapable de prouver que la moitié des fameux 26 allergènes qu’elle proscrit depuis 15 ans est problématique. Lesquels allergènes empoisonnent beaucoup plus la vie des marques que celle des consommateurs…
On entend aujourd’hui que les huiles essentielles d’orange, de rose ou de noix de Muscade sont dangereuses pour l’homme et pour l’environnement. Que se vaporiser d’un parfum qui contient moins de limonène que l’écorce d’une orange présenterait des risques pour la santé… Est-on encore dans le sérieux ou dans le délire paranoïaque ?
Une des conséquences de tout cela est pourtant tout sauf délirante, puisqu’il s’agit ni plus ni moins de la disparition des matières premières naturelles dans les parfums. Car si la nature gratte, pique et donne des boutons, la synthèse, elle, est beaucoup plus « neutre » et donc préférable aux yeux de certaines associations non-gouvernementales.
Il ne s’agit pas d’être angélique, tout ce qui est naturel n’est pas bon. Mais il est ironique de constater que les voix les plus virulentes sont également celles qui critiquent colorants et arômes artificiels… Et je ne serais pas surpris que ceux-là mêmes qui tapent sur la profession reviennent bientôt se lamenter dans les média que les parfums sont de plus en plus synthétiques, oubliant qu’ils ont eux-même provoqué ce phénomène !
Pour revenir à l’image du début de cette réflexion, les couleurs ne disparaîtront pas subitement de la palette. En revanche, certaines d’entre elles sont d’ores et déjà remplacées par des approximations plus ou moins heureuses et perdent en profondeur et en subtilité. Dans la réalité, des facettes entières de grands parfums classiques sont substituées, les créations ont de plus en plus la linéarité sans surprise des molécules de synthèse.L’artifice finit ainsi petit à petit par l’emporter, non pas par la faute de ces marketeux qu’on aime tellement brocarder mais par celle des trop bien-pensants. Le principe de précaution aura bientôt gagné, l’art de la parfumerie aura beaucoup perdu.
Hervé Mathieu – Fragrance Forward
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