Aki Kaurismäki, 2002 (Finlande)
L’homme, joué par Markku Peltola, perd son identité à la suite d’un coup que lui assène à la tête un des trois malfaiteurs rencontrés au début du film. Ils le volent, font disparaître ses papiers d’identité et couvrent son visage du casque de soudeur qu’il avait dans sa valise. Sa tête disparaît derrière ce masque quasi mortuaire et, avec elle, toute sa vie passée. La scène qui suit nous donne son point de vue (en caméra subjective) et évite le contrechamp qui aurait montré son visage plein de sang : il titube, fait peur aux passants sans le vouloir et s’effondre derrière une porte. Gisant, nous voyons son corps mais, là encore, pas de tête. Après une ellipse, le spectateur le retrouve à l’hôpital, le crâne entièrement couvert de bandelettes, à la manière de l’homme invisible. Il est inconscient et lorsqu’il se réveille, brusquement et après que sa mort clinique ait été annoncée, il le fait presque comme un robot, comme Frankenstein (James Whale, 1931) : c’est une renaissance.
Ce nouvel homme arrive dans une zone où des conteneurs servent d’habitats à un groupe de pauvres et où l’Armée du Salut s’occupe d’eux. C’est à l’Armée du Salut, qui figure un semblant de religion tissant les liens entre les hommes (ils se retrouvent pour les repas et quelques animations), que l’homme un peu perdu fait la rencontre d’Irma, Katie Outinen, dont il tombe amoureux. Cet amour est la base d’une nouvelle vie. Le tissu social recréé, le bonhomme est tour à tour confronté au problème du logement, du travail et par-dessus tout de son identité sans laquelle il ne peut pas grand chose. Par son calme et son attitude en général, l’homme sans identité fait penser à Travis incarné par Harry Dean Stanton, dans Paris, Texas, (Wim Wenders, 1984), qui, lui aussi, a perdu un peu de son passé. L’ambiance du film est proche des films de Emir Kusturica, en faisant toutefois l’économie de leur joyeux foutoir (Le temps des Gitans, 1988 ou Underground, 1995) : le Finlandais filme ici, comme habituellement le Serbe, des individus qui appartiennent à des milieux modestes et des lieux isolés presque aussi marginaux que les personnages.
Aki Kaurismäki, pour raconter son histoire, choisit des couleurs vives et chaudes, dignes des films hollywoodiens des années 1950-1960 (voir seulement l’affiche !), pour une histoire que d’autres auraient baignée dans une photographie plus grise et réaliste (refus du naturalisme). Le vert (surtout pour le protagoniste principal) et le rouge (pour le sang de la première séquence, la femme rencontrée, la passion) dominent dans les gammes choisies. La réalisation est simple et semble imiter le héros posé et discret quelle que soit la situation. Cette « fable sociale », comme le film a été qualifié, plus complexe qu’elle n’y paraît, est une belle réussite.