Je suis allé voir l’exposition d’Anne et Patrick Poirier à la galerie JGM, jusqu’au 3 Mai, à cause du carton d’invitation, photo mystérieuse d’une tête de phrénologie, dont je possède un exemplaire similaire acheté chez un antiquaire de Canterbury; ladite tête trônait dans mon bureau, impressionnant les candidats qui n’osaient questionner mon possible attrait pour cette fausse science (d’où vient d’ailleurs l’expression “bosse des maths”). Mais ce carton n’est qu’une accroche, un déguisement pour ce que le couple d’artistes expose ici.
La plupart des pièces sont des grandes photos frontales de plantes, de fleurs, de feuilles, d’insectes sur lesquels on distingue avec plus ou moins de netteté une inscription énigmatique : Orpheo (ci-contre), Secret Night (sur le papillon, ci-dessous), Camouflage. Ces mots tous évoquent un ailleurs, un souvenir.
Tout se retrouve dans le pavillon de miroirs, polygone à neuf côtés, qu’on peut contourner ou dans lequel on peut pénétrer et voir son propre reflet multiplié à l’infini. Sur ces miroirs sont gravés à l’extérieur les mots : création, raison, émotions, oubli, rêve, passions, observation, spéculation (la neuvième face du polygone étant l’entrée), et les murs de la galerie s’y reflètent. Tous ces mots contribuent à la fabrique de la mémoire. A l’intérieur, sur les faces opposées, ces mêmes idées sont déclinées en trois ou quatre expressions, comme des titres de traité : De l’archive, De l’architecture de la mémoire , Des rites amoureux, etc… (cliquez sur la photo). Ce pourrait être une bibliothèque borgésienne, une encyclopédie universelle, un compendium de science et de raison (Caeckenbergh a, sur un mode différent, construit une pièce polygonale regroupant aussi tout le savoir du monde). Le jeu des miroirs évoque bien sûr Dan Graham, un lieu hors de tout lieu. Mais il y a ici autre chose que des relations entre corps et espace, il y a aussi la confrontation du spectateur avec l’abîme de la raison, de la construction mémorielle, de la constitution du savoir.Anne et Patrick Poirier sont représentés par l’ADAGP : les photos de leurs oeuvres seront ôtées à la fin de l’exposition. Photos de l’auteur, excepté la première. Nombreuses photos visibles sur le site de la galerie.