L’essentiel est dit, à trois jours de l’échéance. Il n’est plus ministre. Il
ne sera plus député. Il quitte définitivement la vie politique. Il se strauss-kahnise, en quelques sortes.
Les traits tirés, le col ouvert, les yeux cernés, l’ancien Ministre
du Budget Jérôme Cahuzac est apparu sur BFM-TV et sur RMC ce mardi 16 avril 2013 à 18h00 pour vingt-huit
minutes d’interview intimiste en différé ("dans les conditions du direct").
C’est le même épisode que Dominique Strauss-Kahn le dimanche 18 septembre 2011 sur le plateau de Claire Chazal au journal de 20h00 de TF1. On saura peut-être un jour pourquoi BFM-TV et pas le 20h00 de
TF1 ou France 2.
L’information principale a été lâchée à la cinquième minute : il démissionne de son mandat de député (il
avait jusqu’au 19 avril 2013 à minuit pour prendre sa décision).
Entre parenthèses, on ne saura évaluer à quel point la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008 aura eu beaucoup de conséquences dans la vie politique, notamment
avec cette récupération d’office de son siège de parlementaire par un ministre démissionnaire (avant, il avait besoin d’une élection partielle pour retrouver son siège). Une élection partielle va
donc se dérouler au mois de mai ou juin 2013, dans de très mauvaises conditions pour le pouvoir socialiste, bien que la circonscription de Villeuneuve-sur-Lot soit "à gauche".
Ce fut surtout pour l’ancien chargé de la fraude fiscale un exercice de repentance, allant jusqu’à
furtivement évoquer, à la fin de l’interview, des idées suicidaires qu’il a rapidement balayées pour se reconstruire, pour s’imaginer dans une autre vie, affrontant sa vérité, sa "part d’ombre" et aussi son éventuelle peur de devoir, un jour, se retrouver en prison
(il peut risquer jusqu’à cinq années de détention).
Pour être très clair avec son avenir, il a estimé « infiniment
peu probable » qu’il fasse un jour, dans le futur proche ou lointain, un come back dans la vie politique. C’est donc un enterrement politique de première classe, devant les
téléspectateurs, comme l’avait fait, il y a un an et demi, Dominique Strauss-Kahn, son ancien mentor dans les réseaux rocardiens.
Cela ne l’a pas empêché d’être relativement combatif malgré sa tête de chien battu. Il a expliqué, certes,
que tout part de ce fameux compte en banque : « J’ai commis une folle bêtise, une folle erreur, il y a près de vingt ans » qui
ressemble à s’y méprendre au satané bout de sparadrap du Capitaine Haddock, impossible de s’en dégager (sans supprimer l’anonymat de son propriétaire).
Et qu’y avait-il dans ce compte bancaire ? 600 000 euros et pas les jusqu’à 16 millions d’euros qui
circulent actuellement dans les journaux. Provenant (dit sobrement) de ses "activités professionnelles", en clair, de sa clinique de chirurgien et de son travail de consultant auprès
d’entreprises pharmaceutiques.
On le croit déjà en train de plaider devant un juge : il veut bien reconnaître sa faute originelle mais
dément toutes les autres rumeurs qui circulent. Il n’avait encore jamais reçu un seul centime de ces industries pharmaceutiques quand il était conseiller du Ministre de la Santé Claude Évin. Et
il avait arrêté cette lucrative activité quand il a été élu député en juin 1997.
De plus, et c’est sans doute le plus important, il a démenti catégoriquement avoir servi à financer des
campagnes du parti socialiste. Edwy Plenel, de Mediapart, avait affirmé ces derniers jours que ce compte bancaire aurait été destiné à financer la campagne présidentielle de Michel Rocard, campagne qui n’a jamais eu lieu, puis les réseaux rocardiens derrière Dominique Strauss-Kahn.
S’il a disculpé ses amis rocardiens, Jérôme Cahuzac a semblé ne pas être très clair avec le Président
François Hollande. Il a reconnu qu’il lui avait menti, ainsi qu’au Premier MInistre Jean-Marc
Ayrault, mais il a affirmé ne pas savoir ce que François Hollande savait de sa situation personnelle. Cette incertitude laisse planer certainement le doute sur ce que savait l’Exécutif
pendant les fameux quatre mois (entre début décembre 2012 et mi-mars 2013). Le Ministre de l’Économie et des Finances Pierre Moscovici sera d’ailleurs auditionné par la Commission des finances de l’Assemblée Nationale dès ce mercredi 17 avril 2013.
Quant à son sort personnel, il avait donc réellement l’intention de revenir sur les bancs de l’Assemblée
Nationale, mais il fallait bien se rendre à l’évidence : comment pouvait-il physiquement s’y trouver nez-à-nez avec tant d’anciens amis camarades si venimeux aujourd’hui ?
Abattu peut-être par le poids de sa responsabilité à avoir provoqué le binz dans toute la République (il est un peu comme l’ancien pape Benoît XVI lorsqu’il a renoncé : il n’était pas capable
d’évaluer les conséquences historiques de sa décision, qui le dépassaient), Jérôme Cahuzac est quand même parvenu à botter en touche lorsqu’on lui a demandé s’il allait finalement toucher ses
indemnités de ministre pendant encore six mois (ce qui est habituel pour un ministre démissionnaire). Il a simplement répondu : « C’est un
problème juridique que j’ai confié à mon avocat. ». Comme on voit, le moral ne dot pas être trop descendu puisqu’il a encore le sens de l’humour.
Que conclure de la fin de ce premier acte du drame Cahuzac ? Qu’il est en parfaite santé et qu’il est
encore capable de s’exprimer et de parler avec aisance. Parler pour dire quoi ? J’imagine un grand nombre de personnalités politiques dans la crainte justement qu’il parle. Les anciens
Ministres du Budget et que les anciens Ministres de l’Intérieur ont toujours des informations capitales sur certaines personnes. Par ailleurs, des banquiers à Genève n’ont pas hésité à déclarer
que le compte de Jérôme Cahuzac n’était pas un cas exceptionnel dans la classe politique française.
Bref, les projecteurs de la mousse médiatique vont bientôt se détourner de Jérôme Cahuzac, et c’est tant
mieux. La justice suivra son cours et les médias suivront d’un peu plus loin. La question cruciale reste maintenant celle-ci : le tremblement de terre va-t-il atteindre d’autres
contrées ? D’autres secousses sont-elles encore à craindre dans la classe politique ? (Je ne parle pas, hélas, du (vrai) séisme de ce mardi à 12h44 de magnitude 7,8 en Iran près de
la frontière pakistanaise).
Ce ne sont en tout cas pas les mesurettes prises au conseil
des ministres du 10 avril 2013 qui vont rassurer les citoyens. Dévoiler le patrimoine des ministres n’a rien apporté sauf de la confusion dans les esprits. Ce qui compte, ce n’est pas le niveau
de richesse des ministres ni leur aptitude (ou pas) à gérer leurs sous personnels, mais leur capacité à répondre au principal enjeu du quinquennat : le chômage.
François Hollande, avec son mariage pour les couples homosexuels et sa mise à nu des ministres, semble avoir perdu en route sa priorité de l’année 2013 sur
l’emploi. Au fait, le FMI vient de prévoir ce mardi une récession de –0,1% pour l’année 2013 (au lieu de +0,3%) et une mini-croissance de +0,9% pour 2014. Monsieur Hollande, la courbe du chômage
s’inversera-t-elle vraiment le 31 décembre 2013 ? « Je vous le promets » avez-vous dit le 28 mars 2013…
Aussi sur le
blog.
Sylvain Rakotoarison (16 avril
2013)
http://www.rakotoarison.eu
Pour aller plus loin :
L’affaire Cahuzac.
Faut-il interdire le
mensonge ?
Transparence et vie
privée…
Le patrimoine des ministres au 15 avril 2013 (à
télécharger).
Un homme intègre et
visionnaire.
Moralisation de la vie politique.
François
Hollande.