Les guerres de mémoires au centre des prochains Jeux Olympiques

Par Mbertrand @MIKL_Bertrand

Abstract: In 2014, the Winter Olympic Games will take place in Sochi (Russia). Since few months, the community of Circassians tries to make known the fact that they were exterminated and evicted from this territory in 1864. After the Five-Day war between Russia and Georgia in 2008, the Georgian government uses this geopolitical weapon of memory against its enemy.

Les Jeux Olympiques ont une dimension mémorielle omniprésente.

 Les travaux de Sylvain Bouchet ont notamment montré comment les cérémonies d'ouverture pouvaient être interprétées comme une pratique commémorative largement modernisée depuis 1896.

 Dans un article sur ce blog en 2009, nous avions également analysé la dimension mémorielle de la candidature commune "Hiroshima-Nagasaki" pour l'organisation des Jeux Olympiques de 2020. Depuis, cette candidature a été abandonnée faute de moyens.

Dans un délai plus proche, il semblerait que l'organisation des Jeux Olympiques d'Hiver à Sotchi en 2014 ne déroge pas à la règle et que les manifestations soient marquées par l'émergence d'une véritable guerre des mémoires entre le pays organisateur et ses pays voisins.

L'organisation de ces XXIIème JO d'Hiver a été attribuée à la Russie en juillet 2007. La proximité des montagnes du Caucase, mais aussi des rives de la Mer Noire, ainsi que l'engagement d'investissements massifs de la part des autorités russes ont été des arguments de poids dans le choix de cette ville.

Cependant, l'explosion de la guerre entre la Russie et la Géorgie quelques mois plus tard a constitué  une forte source d'inquiétude pour le Comité International Olympique. Les installations sportives seront en effet installées à proximité d'une frontière devenue hautement conflictuelle et susceptible de faire l'objet d'attentats et autres attaques terroristes.

Depuis, les tensions se sont apaisées et la Russie travaille à la sécurisation du site. La guerre des armes s'est éteinte mais les braises sont savamment entretenues par la Géorgie qui, sans vouloir passer pour un belligérant belliqueux, entend bien raviver le conflit le moment venu pour décrédibiliser son ennemi sur la scène internationale.

C'est dans cette perspective que l'arme mémorielle a été mobilisée.

Les dirigeants géorgiens ont en effet décidé d'accorder toute leur attention à une revendication mémorielle régionale concernant la reconnaissance d'un éventuel «génocide des Tcherkesses».

 Le peuple tcherkesse (parfois appelé circassien) est originaire de la région du Caucase d'où il a été chassé par le pouvoir impérial russe en 1864. Depuis, les communautés exilées les plus importantes se situent en Turquie, en Syrie et au Liban. Elles entretiennent leur identité communautaire (pour ne pas dire nationale) autour du souvenir de cet épisode douloureux de leur histoire ayant conduit à un exil forcé toujours en vigueur aujourd'hui.

L'organisation des Jeux Olympiques de Sotchi se déroulant partiellement sur leur ancien territoire, les Tcherkesses y ont vu un bon moyen pour médiatiser leur revendication mémorielle. Ils ont ainsi écrit au Comité International Olympique qui n'a pas apporté "de réponse concrète".

Depuis, ils se sont tournés vers les autorités géorgiennes qui leur ont accordé une oreille attentive et intéressée. Ainsi, le parlement géorgien a-t-il voté en mai 2011 un texte reconnaissant le "génocide tcherkesse" et se propose même de recueillir les revendications d'autres peuples du Caucase chassés par l'expansion russe au XIXème siècle.

Plus récemment, des commémorations ont même été organisées dans la ville géorgienne d'Anaklia et un Mémorial a été inauguré à cette occasion comme nous pouvons le constater sur ce reportage : 

Personne n'est dupe de la dimension purement géopolitique de cette reconnaissance par l'Etat géorgien qui refuse toujours par ailleurs de reconnaître le génocide arménien. Néanmoins, les revendications tcherkessiennes reçoivent une attention de plus en plus attentive de la part de la communauté internationale.  La fondation américaine Jamestown y consacre notamment de nombreux articles et les activités de lobbying s'intensifient auprès des Etats pour qu'ils brandissent la menace d'un boycott.

On ne devrait donc pas tarder à voir apparaître à l'Assemblée nationale française une proposition de loi pour la reconnaissance de ce "génocide" sur le modèle de celle avancée par Lionel Lucca et Marion Maréchal-Le Pen pour le "génocide vendéen"...