Depuis quelques jours, le gouvernement cherche à mettre derrière lui à marche forcée le très mauvais moment que la Manif pour tous lui fait passer. Vote à mains levées au Sénat, en catimini, sans scrutin public; passage en force à l'Assemblée Nationale; consignes de vote autoritaires. Le pouvoir législatif use de techniques pour vaincre le pouvoir populaire.Tactiquement, c'est assez malin. Philosophiquement, c'est plus douteux. Stratégiquement, c'est très dangereux. C'est surtout radical.
"Radical" est le nouveau mot à la mode. Je ne sais pas si c'était un jeudi ou un vendredi, peut-être même un mercredi. Un jour quelconque. Il faisait encore un peu froid dehors. Les filles n'avaient toujours pas raccourci les jupes et les garçons se demandaient si le PSG allait ou non réussir à battre le Barça. chez Publicis, entre deux longues période d'ennui, le téléphone sonna. Un gars de l'Elysée, le coeur battant à 400, hurla son désarroi. Panique à bord. Il raconta que tous les soirs depuis 6 mois, il faisait des cauchemards plein de T-shirts roses, de bébés hurleurs, de papas et de mamans. Chez Publicis, ils étaient interloqués. Autant ils s'y connaissaient en éléphants roses après quelques pilules bleues, mais des familles réactionnaires en T-shirts roses... Ils n'avaient jamais été à ce point défoncés. Ils ne savaient pas quoi faire. Les bras ballants des cohortes de bobos tournaient en rond dans des couloirs stylés. Soudain, il y en un ou une, peut-être même un stagiaire, qui eut une idée géniale pour contrer tous ces gens bizarres qui manifestent contre le mariage pour tous. Radical. Le mot magique. Au pluriel, c'est avec un "s" comme Valls ou avec un "aux" comme Ayrault? Et est-ce qu'on ne pourrait pas en faire un verbe? Genre, ces manifestants radicaux se sont radicalisés. Ca tape. Yeah baby, ça va les moucher rapide.
Les spécialistes du langage dans l'entourage de notre si peu aimé président ont le verbe un peu radical. Cela pourrait être efficace mais cela devient plutôt ridicule. Voir tous ces ministres, tous ces députés sortis de nulle part prendre un micro et dire le même jour le même mot est radicalement ridicule. Un million de personnes? Radical. Filiation, engendrement, altérité? Radical. PMA, GPA, dignité de la personne humaine? Radical.
Pourtant, en y réfléchissant un peu plus, il n'avait pas complètement tort, notre pubard. Il y a effectivement une certaine radicalisation qui devient dangereuse.
Cela fait 6 mois que j'entends à tout bout de champ des hommes et des femmes politiques, des journalistes, des voisins de dîner livrer au monde une pensée radicale qui se limite à deux mots : égalité, amour. Demain, je n'oublierai pas de demander à ma grand-mère si au nom de l'égalité, elle ne voudrait pas se faire une petite PMA après s'être mariée avec ses deux amants qu'elle aime sincèrement... Des interdits, il y a en des myriades. Certains veulent en retirer un, le droit des couples de même sexe à adopter, mais ne sont pas pour autant prêts à les retirer tous : la procréation pour les personnes âgées, le droit de se marier à plusieurs, l'adoption par un frère et une soeur, etc. Là où il y a de l'amour, il n'y a pas toujours des droits similaires. Nous avons tous nos limites et nos interdits qui concernent des situations... radicalement différentes. La Manif Pour Tous a gagné la bataille de l'esprit. Alors qu'elle a passé les 6 derniers mois à argumenter avec sérieux, ses farouches opposants gouvernementaux n'ont cessé de répondre par des mots radicaux. Cette victoire est la plus belle.
Cela fait 6 mois qu'une mobilisation unique marche, piétine, campe partout en France. La plus forte mobilisation sociale depuis 20 ans. Ce n'est pas rien. Face à cela, le gouvernement oppose un silence radical. Les médias aussi d'ailleurs, bien qu'ils commencent à comprendre leur méprisante erreur. Plus d'un million de personnes régulièrement dans la rue et pas une invitation à l'Elysée. Une commission des lois qui se déclare incapable de trouver un juriste opposé au projet. Des ministres qui ignorent, méprisent, accusent. C'est radicalement novateur. Le mouvement contre la réforme des retraites a provoqué nombre de réunions, de petits mots, de négociations. Les infirmières, les lycéens, les étudiants, les ouvriers ont tous connu leur heure de gloire. Un seul mouvement fait face à une porte fermée. Quelle que soit l'opinion de chacun, cette attitude radicale est injustifiable. Elle nie la dignité de l'homme en niant la vocation de chaque personne à participer à la vie de la communauté.
Cela fait 6 mois que j'entends certains me dire que nous devrions nous mobiliser contre la pauvreté, la faim dans le monde, la guerre en Syrie. Ces gens vont-ils parfois là où se trouvent les malheureux dont ils parlent depuis leur canapé? Vont-ils les rencontrer dans leur radicalité? La famille est le cercle d'amour essentiel à la dignité de la personne humaine. La famille est bien souvent salvatrice et c'est cette entité merveilleuse que toute cette foule veut justement défendre quand d'aucuns veulent la destructurer. Je préfèrerais voir au JT de TF1 un ministre de la famille louant cette famille unie dans la durée qui offre tant de stabilité et d'amour. Ce genre d'argument radical est parfois triste à entendre. Ces contradicteurs devraient se balader au milieu de la foule. Ils y verraient qui s'abandonne quotidiennement auprès des sans-abris, qui s'occupe des personnes lourdement handicapées, qui va visiter les personnes âgées, qui vole à la rencontre des habitants de pays oubliés, qui défend au tribunal des enfants dont l'absence de famille stable a cruellement manqué. Et peut-être changeraient-ils radicalement d'avis.
Cela fait 6 mois que des manifestants qu'on qualifiait de bisounours s'habillent en rose avec des pancartes tout droit sorties de Fisher Price. Qu'ils organisent des flashmob, des campings, des joggings. Il n'y a jamais eu une seule vitrine cassée, un jet de pierre, une aggressivité quelconque. Rien. Ce mouvement est radical, oui, car c'est le premier à respecter les autres. Pendant que le Parlement justifie l'immunité pour des mouvements sociaux d'une rare violence, la Préfecture met en garde à vue une soixantaine de jeunes gens roses qui font un sitting. Cette tentative autoritaire de stoper un mouvement populaire pacifiste est radicale. Le gouvernement est totalement dépassé par l'ampleur de l'opposition à son projet de loi. J'entends encore un haut conseiller me dire en septembre qu'il n'y avait aucune discussion possible, que tout cela serait bouclé en décembre et que les français s'en fichaient. Analyse radicalement erronnée et incompétente, noyée dans son idéologie. Le passage en force actuel, l'absence totale d'écoute, le mépris sont totalement indignes. Nous sommes passés d'un Président normal à un Président radical.
Alors soit, je suis radical. Je me radicalise radicalement dans ma radicalité. Mais en français, avec des mots doux et tendres, je dirais juste que je veux poursuivre mon opposition à un projet de loi qui me semble dangereux. Je continuerais à m'engager pour promouvoir une société qui remettrait la personne humaine au coeur de son développement. Une écologie humaine qui respecterait l'intégralité de la personne humaine et rappelerait le caractère central de la famille; une économie dynamique et innovante qui serait assise sur le Bien Commun et partagerait les ressources avec justesse; un environnement naturel dont la merveille serait défendue; un patrimoine culturel, intellectuel et spirituel qui serait transmis.
Pour une fois que le débat public pouvait porter sur l'Homme, pour une fois que les citoyens s'intéressaient à l'Homme, c'est plus que dommage, c'est véritablement absurde de ne pas avoir osé provoquer des états-généraux de la famille, cette communauté tellement fondamentale.
Comme le faisait dire brillamment Audiard à Gabin dans Le Président, la politique devrait être une vocation alors que pour certains elle est un métier. Un peu comme le mariage finalement...