Kim Jong-Un n'est peut-être pas un fou mais un fin politique qui prépare le terrain pour un grand changement.
Par Romain Metivet.
En cette période très agitée pour la péninsule coréenne, permettez-moi d'aborder le conflit actuel sous un angle pour le moins différent et optimiste. Et si ce jeune dictateur éduqué en Europe et féru de basketball tentait à travers le conflit d'assoir son autorité avant d'engager de profondes transformations ?
Kim Jong-Un est le plus jeune chef d’État de la planète. Arrivé officiellement au pouvoir il y a moins de deux ans, il pourrait être en théorie le "Chef Suprême" à la plus grande longévité de l'histoire. Mais ce pompeux titre ne garantit pas une autorité et une légitimité à toute épreuve.
La Corée du Nord est de loin l’État le plus militarisé au monde avec 387 militaires et réservistes pour 1000 habitants. Autant dire qu'il est essentiel d'être en de bons termes avec des généraux ayant uniquement connu l'endoctrinement socialiste et servi son père et son grand-père. Ainsi de nombreux analystes, comme Jasper Kim, fondateur de l'Asia-Pacific Global Research Group à Séoul, estiment que les provocations actuelles ne sont faites qu'afin d'accroître sa légitimité auprès de la hiérarchie militaire :
C'est avant tout pour des raisons domestiques, car sans le support de l'armée, il ne sera pas au pouvoir longtemps.
Cela étant dit, pourquoi entrevois-je la lueur d'un progrès ?
Kim Jong-Un, contrairement à ses aïeux, a étudié durant sa jeunesse à l'étranger, dans un pays aux antipodes du sien : la Suisse. À l'École Internationale de Bern, où paradoxalement le programme contient de nombreux cours en "Démocratie", il côtoyait des adolescents du monde entier. Ses anciens camarades le décrivent comme un passionné de basketball, quelqu'un de complètement intégré et plein d'humour. Il est rentré en Corée du Nord en 2000, à l'âge de 16 ou 17 ans. Assez tôt pour lui laver le cerveau me direz-vous ? Peut-être... Mais il n'a cependant pas oublié son sport préféré ni ce que signifie la démocratie, comme en témoigne le récent voyage de son "ami" Dennis Rodman ou encore la venue surprise de Eric Schmidt, président de Google. En effet, ce dernier a confié y être allé en Janvier pour faire une conférence sur les bienfaits de l'internet libre. Kim Il-Sung doit s'en retourner dans sa tombe...
Eric Schmidt, CEO de Google en Corée du Nord, Janvier 2013.
Une autre raison qui pourrait justifier mon optimisme est l'ouverture économique. Du temps de l'URSS, la Corée du Nord commerçait beaucoup en exportant des armes et des ressources naturelles, mais après sa chute, son commerce extérieur s'est effondré. Cependant, depuis la fin des années 1990, il croît beaucoup. Certes il demeure à des niveaux faibles, mais la tendance est claire. Comme le montrent les graphiques suivants, le commerce inter-Corées connait aussi une expansion :
Même si la Corée du Sud est un important partenaire commercial, le principal demeure la Chine qui compte pour plus 50% de l'aide internationale et 80% des importations de pétrole. Cette dépendance a d'ailleurs conduit le régime à user d'un concept capitaliste, la concurrence, en nouant des relations commerciales avec l'Inde depuis 2004 ou l’Égypte depuis 2009. Les importations provenant de ces deux pays pèsent désormais 288 et 269 millions de dollars respectivement.
D'où provient cette croissance du commerce international ? De certaines mesures politiques, initiées par Kim Jong-Il mais maintenues pour le moment par son fils, qui rappellent certaines réformes prises par la Chine de Deng Xiaoping à la fin des années 1970.
La zone industrielle de Kaesong a été formée en 2002. Frontalière avec la Corée du Sud. 123 entreprises du frère ennemi y sont installées et emploient plus de 53.000 personnes. Les salaires sont malheureusement directement versés au gouvernement... Même si elle est fermée depuis le 3 avril, c'est un symbole de coopération économique qui n'a cessé de croître jusqu'à aujourd'hui. Un projet similaire est en suspens avec la Chine dans la zone administrative de Sinuiju.
La Zone Spéciale Économique de Rason est en contact avec la Russie et la Chine. Elle a été établie au début des années 1990. Elle comporte un port stratégique (en eau-chaude) et de nombreuses infrastructures développées et gérées par les deux voisins. La zone échappe à la centralisation de Pyongyang car il est estimé que seulement 20% des décisions politiques concernant la zone y sont prises. L'usage des devises étrangères y est autorisé et une foire a même été organisée en 2012 pour les investisseurs internationaux.
Pour terminer, la zone touristique de Kumgangsan est un parc naturel qui accueille de nombreux touristes sud-coréens, dont le million a été dépassé en 2005.
Sont-elles seulement des expériences ou encore un moyen pour le régime d'obtenir les ressources nécessaires à son maintien ? Peut-être. Mais les ouvertures économiques de l'Histoire ont toujours amené un progrès des libertés.
En dépit du bruit médiatique et des menaces (qui très certainement ne seront jamais concrétisées), la Corée du Nord semble avoir pris une tendance encourageante depuis une quinzaine d'année. Peut-être suis-je trop optimiste, mais je me permets d'imaginer que la rhétorique belliqueuse actuelle n'est qu'un moyen d'endormir les vieux pontes, pendant que se prépare une véritable ouverture et l'éradication finale du stalinisme.
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Références et données pour les graphiques :
- Gordon G. Chang, A New Phase in China-North Korea Relations, Korea's Economy 2011, p.73-74.
- Dick N. Kanto, Increasing Dependency: North Korea's Economic Relations with China, Korea's Economy 2011, p.75-83.
- Cheong Young-rok and Lee Chang-kyu, Korea-China Economic Partnership: The Third China Rush, p.84-96.
- Dong Yong-Sueng, The Economics of Reunification, Korea's Economy, p.97-99.
- Bank of Korea
- Andray Abrahamian, A Convergence of Interests: Prospects for Rason Special Economic Zone, Korea Economic Institute, February 24, 2012.
- http://www.nkeconwatch.com