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Transparence: le grand jeu du microcosme.

Publié le 16 avril 2013 par Juan
Quel suspense ! Une démarche qui ne fait qu'aligner la France sur le régime de transparence de ses voisins européens a agité le microcosme médiatico-politique hexagonal avec une ampleur qui frise le ridicule.
Sur les chaînes d'information, le feuilleton était rythmé. "Dans quelques heures, les 37 membres du gouvernement auront publié leur patrimoine" scandaient les présentateurs de chacun des flashes d'actualité. Les émissions de débat étaient l'occasion d'innombrables échanges répétitifs et épuisants. Gérard Carreyrou, ancien conseiller de campagne de Nicolas Sarkozy, s'indignait sur LCI que les feuilles d'impôts ne fassent pas partie du lot. Un autre éditocrate s'amusait des conséquences. Un troisième journaliste, pour CANAL+, proposait au ministre de la Ville François Lamy de venir filmer chez lui, ce à quoi Lamy répondit: « Ça vous intéresse une photo de ma femme en déshabillé ? »
Ce grand déballage était pourtant une étape nécessaire qui aurait pu être paisible. Les sondages semblent "montrer" que les Français se fichent de la richesse de leurs ministres. Les préoccupations sont ailleurs. Mais comme souvent, le microcosme s'exerce à créer sa propre actualité. A l'UMP, Jean-François Copé continue son combat à contre-courant. Refusant toujours la démarche générale, il récuse que ce soit une norme européenne.
L'information était pourtant vérifiable à une portée de clics de souris, sur Internet. En Europe, les deux seuls pays où les déclarations de patrimoine et/ou de revenus des parlementaires ne sont pas publiques, même partiellement, sont la France et la Slovénie.
Suède: publication des revenus et du patrimoine de tous les citoyens
Norvège: publication des revenus et du patrimoine de tous les citoyens
Finlande: publication des revenus et du patrimoine de tous les citoyens
Danemark: publication des revenus et du patrimoine des membres du gouvernement si leur parti le réclame.
Royaume-Uni:  publication des revenus et du patrimoine des élus dans un "registre des intérêts des membres", consultable  sur  internet.
Bulgarie: pas de publication mais contrôle par une commission parlementaire
Lituanie: pas de publication mais contrôle par une Commission d'éthique
Allemagne: publication des revenus non parlementaires (au-delà de 10.000 euros par an), rien sur le patrimoine.
Italie: publication des revenus et du patrimoine des élus
Grèce: publication des revenus et du patrimoine des élus
Source: TF1
A 17 heures, c'est le drame, l'apocalypse, le suspense... se prolonge. Car le gouvernement est en "retard", il décale de deux heures. Nombre de twittos rejoignent les éditocrates, petits et grands, pour sur-commenter la chose. On s'épuise. C'était pire que si la Corée du Nord avait profité de l'anniversaire, célébré le même jour, du père-fondateur de son régime, pour lâcher quelques missiles atomiques sur son voisin du Sud...
Quelques minutes après 18 heures, l'affaire est pliée, ça y est. Le patrimoine de nos ministres est rendu public. Sortez vos calculettes, affinez vos comparaisons.
On fait mine de découvrir que Laurent Fabius est le plus riche (6 millions) ou que Jean-Marc Ayrault (1,55 million), Marisole Touraine (1,4 million), et Michèle Delaunay (5,4 millions) payent l'ISF. On lit rapidement ces documents, puis on se lasse. Car qu'il y-a-t-il de plus de lassant que de consulter cette prose d'apparence fiscale et sans enjeu autre que la transparence requise ?
L'important était l'exercice, pas son résultat. Dans le contrôle, pas dans les prétendues découvertes. Dans l'ensemble de l'arsenal, pas dans ces faits divers bon à amuser la presse people.
Sur Twitter, on se régale. Quelques journalistes tentent d'extraire quelques informations nouvelles, coûte que coûte. Ainsi Daic Audouit , journaliste politique à France 3 IDF, prévient qu'il vérifiera les domiciliations des ministres, "pour voir où habitent vraiment ceux qui sont élus". Nicolas Prissette (JDD) relève que le "club des "millionnaires" est restreint" (Ayrault, Fabius, Touraine, Delaunay, Montebourg, Sapin, Fourneyron, Lurel, Pau-Langevin). Eric Dupin est surpris que nos ministres aient si peu d'actions et livre cette curieuse conclusion en forme de question: "crainte de conflit d'intérêts ou méfiance à l'égard de l'économie de marché ?" Un expert du Monde croit comprendre que Laurent Fabius défiscalise puisque certains de ses placements permettent des économies d'ISF. D'autres s'amusent que la ministre Yamina Benguigui ne déclare pas son âge.
La "nouvelle investigation" consiste donc à entretenir ce genre de feuilleton plutôt qu'enquêter sur la vie réelle.
Samuel Laurent, du Monde, avait la bonne formule, sur Twitter, pour résumer cette agitation: "Lire les déclarations; se plaindre que c’est pas intéressant/qu’on s’en fout; crier au voyeurisme et à la tyrannie de la transparence".
L'autre agitation de ces dernières heures provenait de l'accélération du calendrier d'adoption de la loi sur le mariage homosexuel. Passée le vote positif du Sénat, le gouvernement avait en effet décidé d'avancer à mardi 16 avril plutôt que fin mai, pour 25 heures encore, la seconde lecture à l'Assemblée. Quelques extrémistes avaient hurlé au "coup de force" ou à la "dictature".
Cette affaire n'a que trop durer.
A quelques centaines de kilomètres de tout cela, un fils d'une ancien chef d'Etat était arrêté par la gendarmerie du coin, après avoir apporté la justification de ses avoirs, soit... un milliards d'euros. Karim Wade, fils fils de l’ancien président sénégalais Abdoulaye Wade, clamait son innocence. Nul bien mal acquis ni détournement de fonds publics, expliquait son avocat.
Sans rire.


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