L'originalité de ce travail repose sur un modèle, établi par des chercheurs canadiens, se démarquant des traditionnelles mesures des efforts de recherche et développement (par le nombre de brevets déposés, notamment) pour évaluer l'innovation. Ce sont donc ici des critères opérationnels variés – dont un certain nombre liés aux usages des technologies – qui sont pris en compte. Leur analyse sur les cas d'une trentaine de grandes entreprises françaises permet de dégager quelques corrélations intéressantes.
Première partie de l'étude : combien d'entreprises innovent dans quel domaine ? En France, environ 1 sur 4 a réalisé plusieurs innovations majeures sur l'année écoulée. En termes de typologie, c'est l'innovation de produits qui est la plus répandue mais il ressort que les innovations de procédés et de commercialisation l'accompagnent très souvent (ce qui est logique : un nouveau produit va potentiellement induire de nouvelles méthodes de fabrication et un nouveau modèle de vente).
Seule l'innovation d'organisation (nouvelles méthodes, réagencement des lieux de travail, transformation des relations extérieures...) est beaucoup moins corrélée aux autres. Les auteurs estiment que les contraintes réglementaires sont en cause mais peut-être faudrait-il aussi accuser une certaine rigidité dans les approches organisationnelles en vigueur dans l'hexagone, surtout dans les grandes structures (autrement dit : je soupçonne que l'innovation n'est pas très disruptive dans ce domaine).
Dans la recherche des facteurs propices à l'innovation, il ressort que, bien que l'adoption des technologies soit encore faible dans les entreprises françaises (en moyenne et à l'exception des outils bureautiques et de la messagerie), l'intensité d'usage, à la fois vis-à-vis de l'interne et de l'externe, semble être un catalyseur puissant. Paradoxalement, aucun type de technologie ne se distingue particulièrement et c'est donc bien une "culture générale" d'utilisation des TIC qui produirait un effet positif.
Les autres facteurs à ne pas négliger incluent les modifications d'organisation (quand elle ne sont pas elles-mêmes des innovations), telles que la réingéniérie de processus, l'abolition des silos fonctionnels, le recours à l'externalisation..., ainsi que, sans surprise, la culture d'expérimentation et la tolérance au risque (caractérisées par, entre autres, la légéreté des structures de décision, la possibilité de disposer de temps et/ou de financements pour explorer des idées individuelles...).
Moins importants mais démontrant également un retour bénéfique, il faut encore noter deux critères supplémentaires : l'acquisition de nouvelles expertises (par le recrutement de compétences diversifiées ou par la formation et la mobilité des collaborateurs) et la capacité à constituer des équipes pluridisciplinaires, notamment entre le département informatique et les "métiers".
En revanche, aucun corrélation ne peut être établie avec l'appétence pour l'innovation ouverte (qui jouit malgré tout d'une bonne pénétration, au moins dans les discours), ni avec les niveaux d'investissement dans les équipements et infrastructures. Ainsi, il est clair (et cela n'a rien d'étonnant) que ce n'est pas en déployant des outils que l'entreprise devient innovante. Il faut bien plus que cela.
Pour terminer sur le schéma de causalité ci-dessus, certains s'étonneront peut-être de l'absence de relation entre l'indice d'innovation et la performance de l'organisation (en se disant alors "à quoi bon ?"). Les auteurs affirment cependant que ce lien ne peut être établi en raison de la taille réduite de l'échantillon d'entreprises retenu. Heureusement, de multiples autres études ont déjà permis de valider l'impact positif de l'innovation sur les résultats.
En conclusion, cette enquête tend à confirmer les résultats empiriques des observations faites "sur le terrain" : les technologies sont (presque) indispensables au développement de l'innovation dans les grandes entreprises. Néanmoins, elles sont loin de suffire, une "culture de l'innovation" est tout aussi importante pour garantir le succès. Et, à l'heure actuelle, ces 2 piliers sont encore bien fragiles dans la plupart des organisations.