La transparence et la République du tout sécuritaire

Publié le 15 avril 2013 par Sylvainrakotoarison

Ce lundi 15 avril 2013 à 17h00, les trente-sept ministres rendent publique leur déclaration de patrimoine. Jusqu’où ira cette mise à nu ?

Attention la classe politique, on arrive en pleine zone de transparence ! Après l’émission télévisée du 28 mars 2013 et la première allocution du 3 avril 2013, l’allocution du 10 avril 2013 n’a pas semblé redonner au Président François Hollande ce minimum syndical de confiance qui lui permettrait un semblant de crédibilité.

Déclarer son patrimoine

Aucune des mesures proposées ne semble vraiment efficace pour éviter… la dissimulation. Pourtant, la mesure phare prise la semaine dernière est la publication des déclarations de patrimoine des principaux responsables politiques : ministres, parlementaires et aussi (on le dit moins bruyamment mais c’est sans doute plus important car il y a moins d’exposition médiatique mais peut-être tout autant d’enrichissement personnel), les présidents des (grands) exécutifs locaux. Et pour faire bonne mesure, le gouvernement va mettre en ligne à la fin d’après-midi de ce lundi les déclarations de ses ministres.

Quelques ministres l’avaient déjà fait la semaine dernière, ainsi que l’ancien Premier Ministre François Fillon, et également Jean-Luc Mélenchon qui est allé très loin dans son "impudeur" puisqu’il a profité, par ironie plutôt sympathique, pour dévoiler ses mensurations, peut-être un moyen discret de se faire offrir quelques vêtements par ses fans ?

La mesure paraît largement approuvée par l’opinion publique selon les premiers sondages (plus de 60%) et dans l’absolu, elle semble être une mesure de bon sens : éviter de voir un responsable politique s’enrichir grâce à ses fonctions politiques. Quand on dit "s’enrichir", il ne s’agit évidemment pas de parler de ses indemnités publiques et légalement acquises mais de rémunérations occultes que la loi, déjà, interdit (corruption, abus de biens sociaux etc.).

C’est une décision démagogique, qu’aucun responsable dans la classe politique ne pourrait cependant refuser de mettre en pratique sous peine d’introduire à son encontre un subreptice soupçon de dissimulation.

Démagogie, quand tu nous tiens

On mesure l’amplitude de la démagogie au fait que cette publication n’aurait absolument pas empêché l’affaire Cahuzac. Jérôme Cahuzac a en effet déjà produit une déclaration de patrimoine (non publiée) tant comme député que, ensuite, comme ministre et il est fort probable que les ministres qui auraient encore un compte à l’étranger (les malheureux !) éviteraient d’en faire état publiquement (d’ailleurs, quel conseil recommanderiez-vous au ministre qui se trouverait dans le cas : aller jusqu’au bout de la vérité ou s’enfermer, comme l’a fait Jérôme Cahuzac, dans le pieux mensonge ?).

Cette publicité sur le patrimoine devrait aussi devenir obligatoire aux membres des cabinets ministériels (Jérôme Cahuzac était membre du cabinet du Ministre de la Santé il y a une vingtaine d’années avant de s’engager en politique) et aux directeurs des grandes administrations publiques.

Jusqu’où ira-t-on ?

Mais la question qui vient tout de suite, c’est jusqu’où ira-t-on dans la mise à nu ? Car si demander à tous les responsables politiques une parfaite honnêteté paraît tout à fait sain et normal, cela ne signifie pas qu’on ne demande pas aux (autres) citoyens une même parfaite honnêteté. La loi s’applique à tous et l’honnêteté (entre autres) est l’une des valeurs fondamentales qui fondent notre vivre ensemble.

En d’autres termes, l’État, qui est en principe déjà au courant de la situation patrimonial de chaque citoyen par le fisc, ne va-t-il pas imposer cette publicité à TOUS les citoyens ? Quel va être le seuil pour qu’on doive publier ou non ? Est-ce le montant du budget de la collectivité locale dans laquelle un citoyen est élu ? Pourquoi ne pas imposer aux patrons des grandes entreprises privées une même transparence ?

Notons que Nicolas Sarkozy n’aurait jamais osé une pareille …transparence. Avec ce mot, cela semble un progrès pour son successeur, mais si l’on le remplaçait par étalage public de la vie privée, ce serait moins sûr.

Bref, la République serait-elle devenue plus sécuritaire avec François Hollande qu’avec Nicolas Sarkozy ?

Liberté vs transparence

Je le redis, aucun responsable politique ne pourra échapper, moralement, à la publication de son patrimoine parce qu’il y a une réelle demande publique et une suspicion bien trop généralisée, quoi qu’en dise le président de l’UMP Jean-François Copé, mais ce dernier a raison lorsqu’il s’inquiète de protéger la vie privée.

Rendre ces déclarations publiques, c’est rendre publiques de nombreuses vies privées, des vies affectives doubles ou troubles, qui ne concernent aucun citoyen (sinon la famille), c’est étaler la complexité des vies familiales, c’est donner la possibilité à des tiers, personnes ou groupes privés (du genre Facebook ou Google) de collecter ces informations privées et d’en faire des fichiers dont on ne saura rien de la destination. Ce risque de fichage systématique de la vie privée est très grand.

Autre risque, celui de placer le débat sur la morale. Hélas, il faut bien comprendre que le législateur ne doit pas faire la morale mais le droit. Tu ne voleras pas, tu ne tueras pas etc. sont des élément essentiels du droit et de la morale publique, bien sûr, mais aucune loi ne rendra honnête un malhonnête, aucune loi ne rendra sincère un hypocrite ou un menteur.

Espionnage d’État ?

Les États-Unis, avec leur tendance moralisatrice, ont fait beaucoup contre l’évasion fiscale puisque le gouvernement américain est autorisé à faire des écoutes téléphoniques voire à espionner pour coincer un évadé fiscal. Ma question est : les citoyens français souhaitent-ils que le gouvernement français fasse de même ?

Car il n’y a aucune raison de s’arrêter aux grands élus politiques. À terme, ce sont tous les citoyens qui pourraient être fichés et étalés de la sorte. Dans les 600 milliards d’euros estimés d’évasion fiscale (montant à prendre avec beaucoup de pincettes car il faut bien analyser ce qu’il recouvre réellement, certains actes ne sont pas illégaux, comme investir à l’étranger), il y a probablement beaucoup de citoyens très discrets qui ne se sont jamais mis en avant et qui n’ont jamais voulu faire de la politique. Bref, de "simples" citoyens, bien plus rusés, adeptes du "Vivons heureux, vivons cachés".

L’émotion en méthode de gouvernance

On avait reproché avec raison à Nicolas Sarkozy de réagir sur le coup de l’émotion à chaque fait divers criminel en légiférant dans le sens de plus en plus répressif.

François Hollande lui emboîte allègrement le pas, dans le domaine fiscal, alors que l’essentiel, ce n’est pas de faire une nouvelles loi, c’est déjà de faire appliquer les lois actuelles. Faire une nouvelle loi, c’est réagir sur le coup, à l’improviste, dans l’urgence, pour tenter un rebondissement dans l’opinion publique. Et même cela, cela ne marche pas.

Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (15 avril 2013)
http://www.rakotoarison.eu

Pour aller plus loin :
L’affaire Cahuzac.
Faut-il interdire le mensonge ?
François Hollande.
Moralisation de la vie politique.

 

http://www.agoravox.fr/actualites/politique/article/la-transparence-et-la-republique-134278