Le 17 mars dernier, lorsqu’on apprenait, ébahi, la fermeture complète des banques chypriotes, je l’écrivais déjà : il n’y avait alors aucune garantie que ce qui y arrivait n’arriverait pas, un jour, en France. Quelques semaines plus tard, plusieurs éléments se mettent en place et confirment cette opinion.
Et puis, tant qu’on parle de Chypre, il est bon de rappeler que le traitement qui lui fut infligé est finalement assez différent de ce qu’on pouvait envisager au soir du 17 mars. En effet, si, à l’époque, on parlait d’une ponction de tous les comptes en banque pour moins de 10%, l’avenir aura montré que c’est une ponction montant jusqu’à 60% qui sera effectuée. A ce tarif, on comprend que le bank run, tant redouté, n’est plus une option : c’est une certitude ; bien sûr, il n’aura pas lieu du jour au lendemain, mais tout épargnant chypriote n’a plus aucun intérêt à conserver son argent localement. Entre les matelas, les Bitcoins, l’or et n’importe quel autre système que le bancaire, l’arbitrage face à des amputations massives est assez vite fait.
D’autant que cette razzia de l’état chypriote et des autorités européennes ne suffira pas : la situation est si mauvaise que le coût de ce que la presse appelle pudiquement « sauvetage » (là où « cambriolage » serait sans doute plus approprié) continue de monter, passant de 17.5 milliards à 23 milliards, la différence étant à la charge quasi-exclusive des déposants chypriotes. Le fait qu’ils ne soient pas très nombreux et assez éloignés des grandes capitales européennes favorise sans doute leur sous-représentation dans les médias, français notamment. Mais on imagine mal qu’ils apprécient la « solution » proposée.
Heureusement, des gens qui ont tout compris à l’économie nous expliquent qu’ils travaillent d’arrache-pied à « améliorer » la situation. Compte-tenu du track-record général des gouvernements en général, on peut continuer à avoir des sueurs froides. Et ici, lorsqu’on parle de gens qui ont tout compris, on désigne un ministre délégué, ici au Développement, avec toute la puissance de feu intellectuelle qu’on peut imaginer. Pascal Canfin nous propose donc de « démondialiser » (ce sont ses termes) les comptes en banques.
Une fois la novlangue communicationnelle débarrassée de sa gangue de mots creux débiles, que veut dire Pascal ? Simplement qu’il bondit de joie à l’idée d’une transparence bancaire ultime :
« Si l’Europe finit par adopter une législation similaire, il ne pourra plus y avoir d’Affaire Cahuzac. »
Vœu pieu et naïveté, les deux mamelles qu’actionne le Démondialisator fraîchement en poste pour arroser le journaliste et, par son truchement, le lecteur qui passe alors pour un gogo ; on a du mal, en effet, à imaginer plus niaiseux comme remarque alors que chacun sait que les politiciens ont toujours eu à cœur, en tous lieux et en tous temps, de voter des lois qu’ils s’empressaient de ne pas suivre ou, plus habilement, d’y laisser des trous bien dissimulés pour s’en mettre à l’abri.
Mais le but poursuivi par le niais délégué est, lui, parfaitement clair : la transparence bancaire, avant, bien sûr, la transparence totale qu’il imagine humidement comme LA solution aux actuels problèmes de l’État, sans réaliser qu’elle constituera un enfer permanent pour lui et pour tout le reste des personnes qui y seront soumises (et si vous ne voyiez pas pourquoi, vous la mériterez amplement). Et comme d’habitude, pour justifier qu’on pressure toujours plus le quidam, et qu’on lui débite sa liberté en tranches très fines au profit d’une sécurité (financière, étatique) de plus en plus chimérique, l’idiot utile nous ressert l’argument lacrymal habituel : tout ça, bien sûr, c’est pour aider les pauvres, pardi !
« Les premières victimes de la fraude fiscale sont les pays pauvres. »
Il oublie de préciser que l’État français, à cette aune, est lui-même pauvre, et c’est pour cela que ses sicaires pleurnichent tant lorsqu’une somme lui échappe : il n’a jamais été aussi actif pour récupérer les fraudeurs que depuis que ses finances se sont tendues au point de rupture, la crise et une succession de 38 (!) années de déficits indignes aggravant son appétit par ailleurs jamais calmé. Et puis, tout le monde sait que cogner sur ceux qui n’ont pas encore pu fuir, c’est faire une excellente publicité, en ces temps de disettes, pour que d’autres viennent les rejoindre : la France, après tout, n’a pas tant besoin de capitaux que ça.
D’ailleurs, les solutions de sortie de crise du pauvret forment le pendant logique et consternant de ses propositions de transparence et de lutte fiscale sans merci, louées pour ses bienfaits évidents. Comme il n’a très manifestement aucune idée de ce qu’il raconte en matière fiscale, il dégoise sur le même rythme d’ahurissantes bêtises en matière économique : pour lui, comme pour tous les clowns qui nous gouvernent, la seule sortie possible passe par l’ouverture encore plus grande des sprinklers à pognon, pourtant déjà largement ouverts depuis quelques années :
« Nous proposons (…) de financer la transition écologique. Ce qui permettrait d’investir autour de 100 milliards d’euros pour relancer l’activité. »
Ah oui, bien sûr, la Relance ! Saint-Graal des keynésiens et des abrutis dépensiers, elle a un seul petit problème : elle n’a jamais fonctionné. Pas une fois, dans un seul pays, dans toute l’histoire lamentable de cette idée ridicule. Et il semble donc que notre Canfin, benêt économique ou cynique saboteur, trouve séduisante l’idée d’aller cramer 100 milliards en pure perte.
Oui, vraiment, tout ceci est extrêmement rassurant. Si la France est malade du cancer, elle est ce malade qui ne sait pas encore s’il est en phase terminale ou a encore un espoir avant la métastase fatale, et qui se retrouve devant une équipe de médecins dont la conversation roule sur les meilleurs fers pour leur prochaine partie de golf. Et lorsque le malade émet quelques ronchonnements pressant l’équipe soignante de le renseigner avec précision sur ses problèmes, cette équipe s’empresse de tapoter l’oreiller, redresser le lit et arranger les fleurs du bouquet de la table de nuit. Pendant ce temps, le médecin-chef prend un air grave et dit d’une voix forte : « Il va falloir augmenter les doses d’aspirine ».
Car en réalité, tout le monde sait que la métastase se développe et qu’elle n’épargne personne. La France n’y échappera pas, et l’étape suivante est connue. J’en avais déjà parlé dans un précédent article, dans lequel j’expliquais qu’une ponction, sauvage, violente, rapide et sans appel serait probablement faite pour « sauver » telle ou telle firme bancaire, institution étatique ou administration centrale. Je ne pensais pas que l’aspect légal, autorisant cette traîtrise même des principes fondamentaux de la propriété privée, serait mis en place aussi vite.
Je me trompais : le package est quasi-prêt. Peut-être les dirigeants européens ont-ils senti le besoin de se presser pour verrouiller les prochaines actions financières à mener pour, une fois de plus, « sauver » la monnaie unique ? En tout cas, il est probable qu’ils ont été alertés, après la crise chypriote, par les craquements sourds d’une Slovénie sur la même pente savonneuse que l’île méditerranéenne : encore une fois, des banques, massivement barbouillée de dette publique, devront être recapitalisées à hauteur d’un bon milliard d’euros, pour corriger les petits errements de politiciens n’hésitant jamais à distribuer l’argent des autres ou des générations futures.
Et quoi de mieux, pour sauver les institutions qui calanchent, qu’une bonne tournée de ponctions sur les vilains et les méchants riches ? Eh bien grâce à Michel Barnier (penchez-vous en avant) qui travaille pour votre bien (inspirez un bon coup), vous allez, vous, déposant, contribuer à sauver une banque dont l’État se sera porté précédemment garant par de méticuleux stress-tests dont les résultats font encore rire une partie de la profession. Il faut savoir que nos commissaires ont à cœur les intérêts du contribuable européen.
Alors oui, bien sûr, sur le papier, tout ceci paraît correct puisque les déposants, en faisant (bêtement) confiance aux banques approuvées par l’État, prend un risque et doit donc participer à la recapitalisation éventuelle si ce risque se réalise. Mais ce régime de « responsabilité » est tout de même assez asymétrique et en défaveur du déposant lorsqu’on tient compte de l’opacité qui règne depuis des années en matière de bilans bancaires, opacité largement entretenue par les États eux-mêmes qui ont truffé les banques en question de bons divers et explosifs et les ont fiscalement incité (voire obligées) à distribuer des crédits à des ménages de moins en moins solvables.
Et du reste, on se demande comment ces bail-ins, même s’ils sont « légaux », vont s’organiser sans la moindre panique européenne lorsqu’il s’agira de banques majeures (Crédit Agricole, BNP, Société Générale, pour ne citer que des françaises) dont on sait depuis longtemps qu’elles présentent des risques évidents (et systémiques) de faillite. Je sens des semaines à venir fort intéressantes.
En tout état de cause, je vous invite à vous procurer de la vaseline.