Sans doute l’ouvrage peut-il se lire comme un récit de voyage dans lequel l’auteur livre de multiples impressions, évoque ses visites, ses rencontres. Le chapitre consacré à C. Albert Barnes, le grand collectionneur d’art de Philadelphie, en offre un exemple saisissant. Le Corbusier y raconte, correspondance (assez ahurissante !) à l’appui, comment on peut être richissime, amateur d’art éclairé mâtiné d’investisseur et parfait cuistre nouveaux riche, capable de fermer sa porte à un architecte célèbre, ami des plus grands artistes de son temps et peintre cubiste lui-même.
Pourtant, plus que le voyageur, c’est ici l’homme de l’art, l’urbaniste qui s’exprime, non dans un traité théorique et complexe, mais dans un manifeste vivant, qui replace l’architecture dans son utilité première, c’est-à-dire une science entièrement vouée au service de l’Homme, de son bien-être au cœur de la ville.
La relation que l’auteur entretient avec New York est, à cet égard, significative. Admiratif devant les progrès techniques, tels les ascenseurs ultra-rapides ou les trains, infiniment mieux conçus et confortables que ceux des chemins de fer français des années 1930, il n’oublie cependant pas de manifester son dégoût devant la misère d’une partie de la population. Pour lui, la ville ne saurait se confondre avec l’eldorado qu’elle symbolise aux yeux des Européens. Et s’il reconnaît volontiers que tout y est possible à l’entrepreneur intrépide, contrairement à une France engluée dans le conservatisme académique et le marécage des règles administratives, il ne porte pas sur cette mégalopole un regard aveuglé par l’enthousiasme. En revanche, en maintenant constamment le parallèle entre les deux rives de l’Atlantique, il nous offre un état des lieux comparatif qui passionnera les amateurs d'histoire et d’architecture.
Ce voyage est aussi pour lui une révélation. Il découvre dans ces gratte-ciel un concept de « village vertical » incluant rues intérieures et commerces, concept qu’il développera une décennie plus tard à Marseille avec sa Cité radieuse, si novatrice que les Marseillais l’appelleront « la Maison du fada ».
Texte minutieusement construit, mais aussi carnet de voyage agrémenté de croquis, Quand les cathédrales étaient blanches ne constitue pas seulement un ouvrage de référence historique ; il s’impose aussi comme une source de réflexion pour l’urbanisme contemporain, loin des actuels phénomènes de mode dont savait si bien se moquer Philippe Muray, qui proposent à homo festivus l’illusion de se « réapproprier la ville ».
Illustration : Photographie de Manhattan en 1935.