« Vous êtes ici pour vous planter. » Ok, comme phrase d’introduction à un cours technique, j’y vais un peu fort quand je vois les étudiants me porter un regard dubitatif et sensiblement mêlé de crainte. En fait, non, précisons : « Vous êtes ici pour vous planter avec moi. » La différence est notable.
J’essaie chaque fois qu’il s’agit de faire un cours technique de démythifier la prétendue magie de l’informatique.
Donc, à leurs remarques, je ne peux que répondre ceci :
- « Oui, je tape extrêmement vite mais j’ai plus de 20 ans d’utilisation quotidienne et intensive d’un clavier. »
- « Oui, je connais les commandes par coeur, je ne les connaissais pas il y a 10 ans mais je les utilise depuis quasiment tous les jours. »
- « Non, il n’y a rien de magique à la rapidité de telle ou telle action, je connais simplement les raccourcis clavier. »
J’avoue que je ralentis la cadence par la suite quand il s’agit de montrer des exemples. Mais je le fais exprès de provoquer cette situation dès le départ car malheureusement le système veut une note et pour cela les étudiants doivent faire bien, doivent travailler de manière parfaite alors qu’ils débutent dans certains domaines. On doit en 20 ou 30h leur inculquer des notions qu’ils devront pouvoir réutiliser de manière professionnelle. Le programme est bien évidemment chargé et on ne peut s’attarder sur une notion que très peu au travers de quelques exemples et exercices.
Je ne sais plus quand j’ai su exactement faire une belle page web par exemple mais ce que je sais de manière certaine c’est que ce n’était pas au bout du troisième ou quatrième essai. De même, les fameuses commandes que je leur montre dans certains cours, je les ai tapées une première fois et … erreur ! Je les ai tapées une seconde fois et … erreur toujours sans comprendre ! Je les ai tapées une troisième fois en modifiant ce qui me semblait coincer et … erreur ! Je les ai tapées une quatrième fois en modifiant autre chose et en y voyant un progrès sensible mais une nouvelle … erreur ! Je les ai tapées une cinquième fois en voyant enfin mes essais couronnés de succès. Il me fallait cependant le lendemain me replonger dans la documentation car ce qui avait été appris la veille s’était quelque peu évaporé et j’avoue qu’encore aujourd’hui heureusement que j’ai la documentation sous la main pour des commandes et des procédures que j’utilise une fois l’an.
La programmation, les processus informatiques sont des langages qui s’apprennent peu à peu avec le temps et la pratique, pas en quelques heures, quelques exercices. C’est pourtant ce qu’on leur demande et ce qu’ils cherchent à faire. Transposons à d’autres matières. Larguons par exemple de but en blanc un(e) lycéen(e) en Angleterre : est-il, est-elle parfaitement bilingue ? Bien évidemment, non. Quelques semaines plus tard par contre, nous serions surpris des progrès. Parce qu’il ou elle aura commis des erreurs, appris de ses erreurs et augmenté ses compétences. L’erreur est salvatrice et nous naviguons dans un système qui bannit, sanctionne et punit l’erreur. On marche sur la tête. De même, j’ai connu moi-même et je vois encore des enseignants, pas tous heureusement, demander à des étudiants de connaître certains langages, certaines procédures par coeur alors qu’ils sont débutants. La documentation leur est interdite lors des examens alors que je ne connais pas un seul développeur par exemple qui n’a constamment sa documentation à portée de main ou à portée de clic sans en avoir nécessairement besoin. On marche de nouveau sur la tête.
« Vous êtes ici pour vous planter mais avec moi. » Car je préfère qu’ils se trompent, qu’ils commettent des erreurs en cours et que je puisse les corriger, les aider, plutôt que de fermer les yeux, de les laisser aller sur des voies faciles, sans risques et de savoir que dans le cadre professionnel ils seront en grande difficulté et devront alors commencer leur apprentissage mais cette fois seul sans l’apport de l’enseignant et la motivation du groupe.