Solitude

Sur le grand bureau blanc brillent le bel écran plat, la petite lampe Ikea, le petit voyant rouge du répondeur téléphonique. Sur le grand bureau blanc gisent les témoins de son carnage alimentaire, les cadavres de son déchainement calorique, les restes de ses ébats solitaires. Le blanc du grand bureau en est presque complètement souillé.

Assise devant son écran, elle a mangé toute la soirée, ouvert tous les paquets, vidé tous les sachets.

Elle a défié les lois de la nutrition et fait cohabiter dans une improbable harmonie le sucré et le salé, le dessert et l’apéritif, le chocolat et les amandes fumées. Des délires gustatifs qui n’ont rien d’artistiques. Ses relents de bonne éducation lui ont fait laisser un gâteau par ci, un feuilleté par là, il n’est pas bien élevé de finir complètement un plat, quel qu’il soit. Sauf le chocolat. Dans ce domaine il n’y a plus de bonnes manières qui tiennent...

Elle se sent mal. Elle se sent trop pleine, elle se sent si vide. Elle ouvre le premier bouton de son pantalon pour mieux respirer, elle ouvre le deuxième bouton pour atténuer la nausée qui monte, elle ouvre une troisième tablette de chocolat pour mieux se rappeler combien elle se sent mal.

A la radio elle entend parler de ces gens qui manifestent au Sénégal pour pouvoir s’acheter de quoi manger plus d’une fois par jour, dans sa tête elle revoit les visages de ces enfants aux ventres ronds comme des ballons, dans son cœur elle ressent la détresse de tous ceux qui meurent de faim autour d’elle. Si lointains et si proches.

Alors elle mange encore pour oublier sa honte, pour se punir de manger en se rendant malade.