Pour « faire de la politique », à plus forte raison « autrement », faut-il exclusivement faire intervenir la parole de ceux qui pensent ? Dont c’est le métier de penser ? Car tout le monde pense. Christophe Dejours le disait récemment sur une station de radio : on a négligé dans le monde de l’entreprise la part intellectuelle de tout travail, y compris manuel. Alors, pourquoi, dans ce film, ne voit-on que des « experts » certifiés ? Et où nous mènent les pas de Marianne Denicourt à la fin ? J’ai vu ce film à l’Espace St Michel, à Paris, nous étions quelques-uns dans la salle et nous sommes repartis, après la projection, sans un signe qui aurait pu dire que la conversation commençait. De conversation, d’ailleurs, il y en a peu, puisque les intervenants n’échangent rien, ils profèrent une parole sans retour et ce ne sont pas les effets d’images montrant une caméra en train de filmer ou une équipe derrière les caméras qui répondent quoi que ce soit. Ce film, hélas, n’est qu’un constat à plusieurs voix et il vaut mieux aller le voir sur Internet (cliquer sur l’affiche pour atteindre le site du film), pour prendre le temps de réfléchir aux propos des uns et des autres, non que ce soit particulièrement compliqué, mais les deux heures assez froides qui nous sont servies à l’écran ne m’ont laissé que peu de traces. Certes, Jean-Luc Nancy nous invite à une « Commune pensée », et les lecteurs de ce blog ont déjà lu ce que j’avais trouvé dans son livre « La communauté désœuvrée » et ce que cette découverte m’avait apporté. Et j’accepte évidemment que des gens qui travaillent sur l’histoire, la sociologie, le travail, la santé, expriment leurs inquiétudes, leurs analyses, leurs propositions. Mais j’aurais aimé entendre aussi d’autres paroles, celles des « plus importantes personnes » auxquelles nous convie le dernier texte (écrit par Michel Butel), peut-être nos voisins, celles et ceux qui partagent notre espace de travail… Il faudrait donc ne voir ce film que s’il est suivi d’un débat pour que, vraiment, la conversation s’engage. « Il y a les experts, il y a les penseurs, et puis il y a le peuple », affirmait le numéro 2 de L’impossible.
Notre monde, film de Thomas Lacoste, fait entendre la voix de 35 intervenants, dont Christophe Dejours, Marianne Denicourt, Jean-Luc Nancy, Michel Butel…