Un sommeil suffisant est l'une des particularités indispensable au bon développement psycho-affectif du jeune enfant. Le nourrisson dort en effet spontanément entre 18 et 20 h par jour, 13 et 14 h lorsqu'il a un an et le jeune enfant encore 11 à 12 h vers l'âge de 4 ans. La reprise du travail précoce des parents oblige souvent à perturber ces rythmes physiologiques. Avec quels risques et quelles conséquences?
Une crèche vient de s'ouvrir à Niort. Sa particularité, être ouverte de 5h 30 à 22h 30 le soir, du lundi au samedi. Dans le Calvados, en périphérie de Caen, une crèche de 40 berceaux est ouverte de 5 heures à 22 heures. Elle ouvre donc ½ heure plus tôt et ferme aussi ½ heure plus tôt. Les médias qui nous relatent ces nouveautés nous précisent que ces lieux de garde ont pour elles "la spécificité de répondre aux contraintes professionnelles des salariés. D'ailleurs, ce nouveau concept de crèche a déjà séduit plusieurs entreprises partenaires qui en ont d'ores et déjà réservé l'accès, aidant ainsi au financement des travaux." Pour la seconde crèche, le journaliste présente cette création comme "l’œuvre de deux jeunes ingénieurs ayant l’esprit d’entreprise et ayant pour projet de multiplier ce type de crèches inter-entreprises se distinguant par cette amplitude horaire".
Ceux qui ont créé ces deux crèches ont très certainement demandé et obtenu l’accord des autorités sanitaires. A Niort, comme à Caen, les autorités ont constaté que les crèches avaient la superficie requise, des règles de sécurité respectées et un personnel formé en nombre nécessaire. Au strict plan administratif, il est à peu près sûr que ceux qui ont donné leur accord pour la création de ces crèches n'ont pas eu l'occasion d'étudier les conséquences à Niort ou ailleurs de ces levers précoces.
On peut cependant se montrer inquiet de voir que de très jeunes enfants vont être réveillés avant 5 heures du matin. On a l'impression que les conditions de travail imposées aux femmes par l'employeur sont au centre de tout, que les parents salariés doivent s'y plier et par voie de conséquence leur enfant. Personne n’a considéré que réveiller un nourrisson avant cinq heures du matin est un acte qui mériterait qu’on y réfléchisse et qui ne devrait se justifier que de façon exceptionnelle. Le cas de figure des enfants qui doivent être déposés chez une nourrice à 5h du matin pour que leur mère aille travailler dans l'entreprise en question sont bien sûr logés à la même enseigne. Certaines mères choisissent même parfois, pour éviter ce réveil précoce, laisser leur enfant dormir chez l’assistante maternelle dès la veille au soir, ce qui pose alors d'autres questions relationnelles.
Quelle est l'évolution normale de l'organisation du sommeil chez le jeune enfant ?
Le nourrisson a un sommeil rythmé par les besoins alimentaires et favorisé par les motivations instinctives (comme le réflexe de succion). L'aspect fusionnel mère-enfant de ces premiers mois nécessite la présence de l'image maternelle, expliquant le caractère positif du partage de la chambre ("co-sleeping") à ne pas confondre avec le partage du lit ("bed-sharing"). La présence physique et psychique de la mère ou d'un substitut est donc primordiale pour que le nourrisson s'endorme dans un climat de sérénité et sécurité, parfois aidé par des petits moyens (pouce, tétine, câlins, musique douce, bercement, berceuses, promenade, portage, contention...).
Après l'âge de 6 mois, le nourrisson commence à acquérir une autonomie psychique et développe une angoisse de séparation maternelle. L'endormissement est souvent plus délicat et l'enfant adopte, pour se rassurer, ce que l'on nomme un "objet transitionnel" ("doudou", "dadou", peluche, pouce ou tétine...). L'enfant s'assure un propre espace psychique et doit vivre l'expérience et la frustration de la séparation. Les parents ou leurs substituts, doivent alors accompagner le sommeil de l'enfant dans une ambiance de calme et de réassurance, en respectant les rituels et l'objet transitionnel. L'enfant apprend à se retirer du monde extérieur sans être effrayé.
Quels sont les risques de ces ruptures du rythme physiologique du sommeil ?
Le sommeil, au même titre que l'alimentation, les stimulations, la sécurité et l'amour parental, font tous partie des besoins fondamentaux (dans notre langage pédiatrique on parle souvent de "besoins primaires") de l'enfant. Le sommeil est l'un des éléments majeurs de l'équilibre de la santé physique et psychique. Réveiller des enfants et leur faire vivre des agressions répétées, c'est indépendamment des répercussions psychologiques, les affaiblir aussi sur le plan immunitaire. C'est à dire les rendre plus fragiles en ce qui concerne les maladies infectieuses et même les maladies infectieuses les plus graves. A ce titre, le jeune enfant doit être impérativement protégé et être l'objet de toutes les attentions pour ceux qui se préoccupent de prévention médicale infantile.
Deux associations étasuniennes (1) ont retenu, parmi les quatre catégories de la classification internationale des troubles du sommeil, les troubles de l'horaire veille-sommeil transitoires (changements de fuseaux horaires, travail posté) ou bien durables.
On peut imaginer que les enfants soumis à ces changements horaires, ont des troubles du sommeil identiques aux travailleurs qui ont des horaires de travail irrégulier, dits "postés", décrits de longue date et unanimement reconnus.
On peut aussi facilement penser que des réveils provoqués, répétés, et qui plus est sur des rythmes hebdomadaires différents, peuvent entraîner une désorganisation des différentes phases du sommeil (léger, profond et paradoxal). Or le sommeil permet une régénération des systèmes nerveux musculo-squelettique mais aussi immunitaire. Une privation de sommeil paradoxal peut entraîner des troubles du caractère (anxiété, irritabilité). Cette phase paradoxale du sommeil est également celle de la mémorisation et de la consolidation des apprentissages.
Toutes ces données sont en fait encore approximatives et peu explorées par la médecine en générale et la pédiatrie en particulier. Les échanges sérieux sur ces questions, les colloques, congrès et journaux médicaux sont très fortement dépendants des laboratoires pharmaceutiques qui sont bien sûr insensibles à ces problèmes dont les solutions ne sont pas médicamenteuses. Toutes les questions qui touchent à l'environnement, au mode de vie et à l’organisation sociale sont loin d'être des priorités du corps médical ou du Ministère de la Santé.
Il serait pourtant tout à fait opportun que les organismes qui agréent ces établissements puissent entreprendre des études précises, prospectives sur l'incidence de ces dysrythmies sur l'organisation du sommeil des enfants.
Corollaires du fonctionnement de ces crèches à dimension inhumaine
Il parait démontré que dans le cas de figure exposé, soient plus pris en compte les exigences de l'employeur et de l'entreprise, et accessoirement les besoins socio-économiques des parents, que les besoins de l'enfant. En période de plein emploi, la possibilité de prise en charge de l'enfant dans une crèche proche du lieu de travail avec des horaires variables pour des professions astreintes à des horaires postés (infirmières, aides soignantes...) peut représenter un avantage en nature acceptable et incontournable. En période actuelle de plein chômage, le "deal" est différent, l'employeur n'a plus d'état d'âme et ce type de crèche d'entreprise risque d'être une régression sociale obligée, destinée à étendre les plages horaires de la productivité. L'employée ne peut que se soumettre à ce changement des règles du jeu si elle veut continuer la partie.
Dernière remarque, le congé maternité n'est en France que de 16 semaines (6 avant et 10 semaines en post-natal). Il est identique en Espagne et en Autriche. Par contre pour le Royaume-Uni ou l'Irlande, 26 semaines sont accordées, 28 semaines en Slovaquie et 58 semaines en Bulgarie. Les familles les plus favorisées sont celles de Suède où l'on peut aller jusqu'à 75 semaines, avec un transfert possible vers un congé paternel (2)
Le Parlement européen a souhaité aller plus loin en proposant un congé de maternité de 20 semaines entièrement rémunérées et l'introduction d'un congé de paternité de deux semaines. Appelés à voter le 17 juin 2011, le Conseil de l'Union européenne et le Parlement n'ont pas réussi à trouver d'accord.
Une durée plus raisonnable et plus humaine de ce congé de maternité permettrait déjà aux bébés de prendre leurs marques après ces 9 mois passés bien au chaud dans le cocon utérin. Cela permettrait à plus de mères qui le souhaitent d'allaiter en toute sérénité et dans le calme sans penser à la date-butoir de reprise du travail. On pourrait rajouter que l'éviction de la collectivité des premiers mois de vie minimiserait largement les risques de contamination lors des épidémies hivernales de bronchiolite et de gastro-entérites.
Tout cela pourrait atténuer les troubles du sommeil artificiels des premiers mois de vie et autoriserait le petit nourrisson à pouvoir enfin "dormir comme un bébé"...
On peut toujours rêver ?
Jean-Pierre LELLOUCHE - Michel NICOLLE - Dominique LE HOUEZEC
(1) Diagnostic classification of sleep and arousal disorders. 1979 first edition. Association of Sleep Disorders Centers and the Association for the Psychophysiological Study of Sleep. Sleep. 1979 Autumn;2(1):1-154
(2) Site "Toute l'Europe.eu"