Depuis le 4 avril dernier, Arte programme tous les jeudis à 20h30, une série suédoise qui a séduit l’Europe entière avant même ses différentes diffusions nationales. Äkta Människor, Real Humans, 100% humain suscite un engouement particulier largement relayé par les critiques dithyrambiques de la presse. Sur fond de science-fiction, cette chronique sociale servie par une mise en scène de qualité à la sobriété formelle aborde le mythe moderne de la créature façonnée par l’homme à son image, démiurge très vite dépassé par son œuvre. Quand l’être humain se prend pour Dieu, se profile l’occasion d’explorer des terrains fantasmatiques ambigus.
Dans un monde proche du nôtre, vision alternative crédible de notre réalité, les Hubots, contraction de robot et humain, sont des androïdes commercialisés comme auxiliaires de vie. Ils remplacent les êtres humains dans les tâches domestiques, les travaux éprouvants, les métiers physiquement difficiles. Accessibles au plus grand nombre, il existe différents modèles dont les niveaux de performance et de réalisme varient selon la gamme, du plus élémentaire spécimen au plus sophistiqué.
Si les créateurs des Hubots étaient animés d’intentions honorables, permettre à l’homme de gagner du temps, prendre en charge les malades, les personnes âgées, alléger les corvées afin de se consacrer à des tâches plus nobles, l’arrivée de ces robots dont l’utilisation quotidienne mène à une nouvelle forme d’esclavagisme, bouleverse les relations sociales. Très rapidement, la présence de ces humanoïdes agit comme un révélateur remettant en question la société qui les a engendrés.
Dans la famille Engman, chacun appréhende à sa façon le quotidien aux côtés de ces créatures cybernétiques. La mère est contre l’utilisation abusive des Hubots leur découvrant une humanité flagrante. Le père est un enthousiaste de la première heure qui les considère comme de simples machines. Le fils adolescent troublé par Anita, Hubot ménager, en tombe amoureux. Le grand-père, Lennart, est déchiré de se séparer d’Odi, le compagnon de ses vieux jours parce-qu’il n’a pas passé le contrôle technique.
Chez leur voisins, de l’autre côté de la rue, la situation est bien différente. Thérèse quitte Roger son mari violent pour se mettre en couple avec son Hubot coach sportif Rick. Elle le fait débrider au marché noir afin de le rendre plus viril ce qui ne sera pas sans conséquences. Roger rejoint alors un groupe d’extrémistes anti-hubots dont les thématiques proches des partis d’extrême-droite sont très troublantes : les autres qui viennent prendre le travail des humains, le rejet de la différence, le repli identitaire.
Alors que certains robots programmés par un scientifique de génie qui leur a donné une âme rêvent d’émancipation, la cohabitation avec ces androïdes engendre des situations complexes et des liens allant de l’amour à la haine. Les Hubots tantôt esclaves, tantôt menace, nous pousse à nous interroger sur notre humanité.
Coproduction suédo-danoise diffusée originellement par la chaîne suédoise publique SVT, Real humans est un projet audacieux qui touche à des sujets sensibles et ne fait pas toujours dans la subtilité pour servir le propos. En observant les comportements humains au microscope, cette série met en lumière la dérive de nos sociétés de service qui engendrent une domination de classe flagrante. Lars Lundström a mené seul l’écriture de la première saison lui conférant une narration solide, un récit dense aux enjeux forts, ponctué de références à la littérature de science-fiction (notamment les trois lois Asimov, règles de programmation des androïdes visant à protéger les êtres humains instaurées par le romancier américain Isaac Asimov dans sa grande série sur les robots.)
Les intrigues foisonnantes évoluent dans une atmosphère sophistiquée. La réalisation scandinave reconnaissable à l’esthétique épurée est ponctuée de plans saturés de lumière, moments contemplatifs non dénués d’une étrange mélancolie. La distribution est servie par d’excellents acteurs, avec une mention particulière pour ceux qui incarnent les Hubots, troublants dans leur interprétation d’une humanité de plastique.
Real Humans offre une vision sombre de l’humanité, violente, assujettie à ses passions et ses pulsions, une humanité qui pervertit ses créations les transformant en objet sexuel, en arme, qui ne veut pas s’embarrasser des plus fragiles, des plus démunis et confie cette tâche jugée pénible à des machines. Miroir de nos hypocrisies et de nos frustrations, cette série où les hommes côtoient au quotidien des robots à leur image nous conduit à des questionnements éthiques d’un nouveau genre.
La figure romantique de la créature de Frankenstein imaginée par Mary Shelley a mené la science-fiction vers un genre particulier celui des androïdes à visage humain qui après avoir fait les beaux jours de la littérature a beaucoup inspiré le cinéma et la télévision de Blade Runner à Battlestar Galactica jouant sur le trouble engendré par la frontière floue entre ce qui est humain et ne l’est pas.. Malmener des robots est répréhensible du point de vue moral pas pour les souffrances infligées mais pour le plaisir suscité par un acte violent, révélateur des pulsions les plus sombres de l’être humain.
Real Humans série de Lars Lundström dix épisodesTous les jeudis à 20h50 sur Arte jusqu'au 2 maiEpisodes disponibles en rediffusion sur le site Arte Replay pendant 7 jours.http://www.arte.tv/fr/re-voir-real-humans/7364810,CmC=7376428.html