Dans la presse déchaînée n°12

Publié le 13 avril 2013 par Legraoully @LeGraoullyOff

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Charlie Hebdo n°1086 du 10/04/2013 : Devezeh mat, Metz, mont a ra ? Il fallait s’y attendre, les journalistes, chroniqueurs et dessinateurs du « journal irresponsable », comme Charlie aime à s’auto-désigner depuis l’énième affaire des caricatures de Mahomet survenue l’année dernière (vous avez déjà oublié ? Je m’y attendais), se sont déchaînés sur l’affaire Cahuzac… Enfin, surtout les « jeunes » de l’équipe, ceux qui n’ont pas connu l’époque héroïque du Charlie des seventies : les « grands anciens » prennent ça avec plus de hauteur, ce qui est bien logique : ce n’est pas la première affaire crapuleuse mettant en cause un ministre à laquelle ils assistent, alors une de plus ou de moins… Ainsi, Cabu consacre à cette affaire une couverture mettant les magouilles de Cahuzac sur le même pied que l’affaire Strauss-Kahn, une façon comme une autre de dire que le compte en Suisse de l’ex-ministre du budget n’est qu’un détail dans un système corrompu dans son ensemble. C’est dans cette même logique que s’inscrit un autre dessin de Cabu représentant Marine Le Pen (je ne vous le décris pas, le numéro est encore disponible en kiosque jusqu’à mercredi) mais le dessinateur a préféré consacrer sa traditionnelle colonne à un énième règlement de compte avec son ennemi juré : l’armée. Les soldats de métier dessinés par Cabu ressemblent de moins en moins à de grosses brutes sanguinaires et de plus en plus à ce qu’ils sont vraiment aujourd’hui, à savoir des pauvres types qui se sont engagés parce qu’ils n’avaient aucune perspective d’avenir et qui se retrouvent à combattre sous un soleil de plomb pendant que les officiers sirotent du champagne ; l’impitoyable dessinateur n’éprouve pas davantage de sympathie qu’auparavant pour les uniformisés pour autant, témoin la réplique du soldat qui téléphone, on peut le penser, à son État-major.

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Wolinski consacre sa colonne aux aveux de Cahuzac, mais comme souvent, j’avoue ne pas comprendre tout ce qu’il veut dire, à part la fin où il épingle les « ricanements obscènes des députés UMP pendant le discours d’Ayrault » : il illustrerait l’Enfer de Dante, ses démons n’auraient pas des gueules plus sympathiques… Willem n’en parle pas du tout, le lauréat du grand prix d’Angoulême réservant ses réactions à chaud sur l’actu pour Libération et profitant de l’espace de liberté que lui donne Charlie pour donner libre cours à tous ses délires, y compris parler du père Noël en plein mois d’avril ! Je sais que le printemps a commencé dans une ambiance hivernale, mais tout de même…

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Et Cavanna ? Il a préféré rendre hommage à son copain Fred, disparu la semaine dernière ; c’est d’ailleurs pour ça que j’avais acheté le numéro, pour voir comment Charlie hebdo traiterait la mort d’un des co-fondateurs de Hara-Kiri : je garde encore dans la gorge le quasi-silence dans lequel ils avaient laissé celle de Choron (il faut cependant saluer Cavanna, Wolinski, Luz et… Siné, qui lui avaient rendu l’hommage qu’il méritait), alors maintenant que Charlie est débarrassé de l’abominable Philippe Val, ils n’avaient plus d’excuse pour passer sous silence la mort de Fred. Et donc ? Rien à dire : le talent de Fred méritait bien la double page (moins la colonne de Cabu) reprenant quelques-uns de ses dessins parus dans le Hara-Kiri des sixties.

Certains s’étonneront qu’un poète comme Fred ait contribué aux débuts du « journal bête et méchant », mais il faut se replacer dans le contexte de l’époque où la presse cantonnait le dessin d’humour aux plaisanteries lourdingues, vaudevillesques et parisiennes, les plus beaux représentants du genre étant Bellus avec ses « étrons mongoloïdes » (suivant l’expression bienvenue de Desproges), Kiraz le garçon coiffeur dessinant et, bien entendu, Faizant ; un océan de médiocrité où seuls Bosc, Chaval et Dubout parvenaient à émerger et à satisfaire le public exigeant. Alors Fred, avec sa gueule de métèque, de juif errant, de pâtre grec (tiens, j’ai déjà entendu ça quelque part ?) et sa moustache aux quatre vents avait un mal de chien à placer ses dessins à l’humour extrêmement novateur pour l’époque : Cavanna raconte dans Bête et méchant qu’un fonctionnaire de la censure justifiait la première interdiction de Hara-Kiri, entre autres arguments, par le caractère « malsain » des dessins de Fred, ce qui avait fait sauter littéralement sauter de leurs sièges Cavanna et Choron ; cette anecdote savoureuse illustre le fossé culturel et moral qu’il y avait entre les fondateurs du journal et le pouvoir de l’époque (quand on dit à ces pionniers de l’humour « bête et méchant » qu’on ne pourrait plus aujourd’hui s’autoriser les audaces qu’ils se permettaient à l’époque, ils répondent qu’en ce temps-là, on ne pouvait pas beaucoup non plus…) mais surtout montre qu’avant de devenir le créateur de Philémon et du Petit cirque unanimement salué par la critique, Fred a dû beaucoup galérer pour imposer son style très particulier (une leçon pour ceux qui s’impatientent d’avoir du succès !) et que donc, seul un journal comme Hara-Kiri, très « avant-gardiste » pour l’époque, pouvait lui donner la place qu’il méritait déjà à ses débuts.

De surcroît, quand on lit attentivement les albums de Philémon, on s’aperçoit très vite que cet univers onirique n’est pas aussi inoffensif qu’il peut y paraître et que les porteurs d’uniformes, les fonctionnaires bornés, les faiseurs de fric et autres imbéciles y sont régulièrement mis à contribution ; pour ne parler que des dessins parus dans Hara-Kiri et repris dans le Charlie de cette semaine, ils sont autant de raccourcis saisissant de la lâcheté, de la veulerie et de la cruauté humaines ; l’un des plus marquants est celui où deux unijambistes se battent en duel avec les épées qui leur tiennent lieu de jambes de bois ! On croirait un dessin de Siné, non ? Cet humour, Fred a bataillé dur pour l’imposer ; pour lui, le combat est terminé, c’est à nous de prendre la suite, et quand j’allume ma télé, je me dis qu’il y a encore du pain sur la planche…

Ce n’est pas Luz qui me dira le contraire, lui qui consacre une colonne au passage de Carla Bruni dans « Le grand journal » de Canal+, rebaptisant pour l’occasion l’émission de Denisot « Le grand lèche-cul-tage » et ne changeant rien aux propos des chroniqueurs de l’émission interviewant le portemanteau chantant qui sert de pute de luxe à Sarkozy ; une colonne que je ne peux pas m’empêcher de mettre en vis-à-vis avec une autre, où Luz rapporte l’aventure des Femen qui ont brûlé le drapeau salafiste devant la grande mosquée de Paris et ont été embarquées par les CRS « qui se font plus violent que d’hab’ » ; la fin du reportage dessiné est édifiant : « Trois heures plus tard, les activistes ressortent [du poste] affamées couvertes d’une salopette blanche genre entreprise de nettoyage à Tchernobyl, que les flics ont imposée pour couvrir leur nudité sous leurs manteaux. » Pourquoi je mets ces deux colonnes en vis-à-vis ? Parce qu’à mon sens, elles illustrent la double-face de l’ordre bourgeois : d’un côté, une vitrine bien propre et bien policée où « tout le monde il est beau tout le monde il est gentil », de l’autre, la violence avec laquelle une autorité imbécile s’impose à tous ceux qui ne rentrent pas dans le rang… À bas toutes les religions et toutes les polices ! Kenavo, les aminches !

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