« Je voudrais que toutes les montagnes de France soient aussi bien entretenues et vivantes qu’au Pays Basque. C’est un véritable gazon avec des villages fleuris et refaits à neuf. » (Jean Lassalle, député chanteur, gréviste et marcheur)
par Bernard Pesle Couserend
« On ne peut douter que les Grecs ont cru à leur mythologie aussi longtemps que leur mère et leur nourrice la leur ont racontée. » (Paul Veyne, Historien de l'Antiquité gréco-latine en 1983 dans “Les Grecs ont-ils cru à leurs mythes ?”)
Peut être y aura t-il dans quelques générations des hommes (enfin, s'il reste encore des hommes...) pour se demander si celui qui a écrit ça : “ La beauté des montagnes est autant le résultat de la tectonique, de la faune et de la flore, que du travail séculaire des hommes. Une montagne sans paysans n'est plus qu'une friche hirsute, un jardin à l’abandon, un squelette décharné, sans âme, sans passé ni avenir ” avait forcé sur la gougoutte où s'il croyait vraiment à ce qu'il écrivait ? Notamment pour l'aspect décharné du squelette, qui doit localement beaucoup au sur-pâturage domestique...
A mon humble avis, les deux explications sont largement compatibles, mais la deuxième est prédominante sur la première. Pour une raison très simple : un individu est prédisposé à entendre, croire, assimiler et propager à l'infini toute "vérité" ayant pour corolaire la persistance de son emploi. Demandez à un buraliste ce qu'il pense de la nocivité de la cigarette et vous obtiendrez une "vérité" bien différente de celle d'un tabacologue ou d'un cancérologue. Le déni est encore plus fort si cet emploi n'existe que par la perpétuation en croissance continue d'une croquignolette subvention..., donc, rien que de très classique.
Non en fait la véritable énigme pour les chercheurs des générations futures (enfin, s'il y a des générations futures...) sera plutôt de comprendre pourquoi il s'est trouvé des établissements publics et des assemblées d'élus capables de reprendre à leur compte ce type d'assertions avec un zèle prosélytique à rendre jaloux un scientologue. L'exemple suivant en est une fort belle illustration...
Réouverture des milieux
"Appel à projet 2013 du Conseil général des Hautes-Alpes (CG05) : Réouverture des milieux" :
«
Réouverture
des milieux L’agriculture de montagne est indispensable au bon équilibre de notre département. Le Conseil Général lui apporte un soutien depuis de nombreuses années. Désormais, il attribue ses aides en valorisant des projets moins nombreux mais plus structurants et innovants pour les territoires.
Pour aller plus loin dans cette démarche, le Conseil Général reconduit le principe de l’appel à projet pour un programme qui a démontré son efficacité : les aides à la réouverture des milieux.
Les enjeux liés au pastoralisme sont multiples et en adéquation avec les problématiques du développement durable que ce soit au plan environnemental, économique ou social.
L’aide à la réouverture des milieux, qui est un des outils du contrat de mise en valeur des espaces pastoraux mis en place entre le Département, le CERPAM et la chambre d’Agriculture, doit permettre aux communes et autres EPCI de réaliser des travaux présentant un intérêt réel pour l’activité agricole et améliorer les systèmes d’exploitation. » Source, document PDF)
C'est formidable quand même : pour une des rares fois où la rationalité économique est en mesure de coïncider avec l'intérêt général (l'amélioration du potentiel de résilience des écosystèmes par la restauration de leur naturalité), il se trouve de brillantes personnalités, pourtant majoritairement élues par des citoyens-électeurs-contribuables favorables à cette évolution, pour s'acharner et s'échiner à satisfaire les désidérata révisionnistes d'une minorité en régression.
On pourrait disserter des centaines de pages sur cette incongruité. Mais le seul fait qu'un suffrage dans un canton très rural pèse l'équivalent de plusieurs dizaines dans un canton plus densément peuplé, après passage à la moulinette de la démocratie représentative, explique déjà bien des curiosités.
Voilà donc maintenant que l’on va payer pour contrarier, à grand renfort de subventions, ce que la dynamique naturelle pourrait faire. Non pas simplement gratuitement, mais avec une plus-value substantielle pour l'intérêt général.
Le sur-pâturage transforme la montagne en golf. Le Conseil Général du 05 veut que rien ne dépasse. Mort aux ligneux ! Car la forêt abrite le sauvage, le diable, les bêtes fauves, elle doit donc disparaitre.
Après tout, un célèbre député-chanteur (et depuis hier piéton...) n'a t-il pas dit « qu'il voudrait que toutes les montagnes de France soient aussi bien entretenues et vivantes qu’au Pays Basque. C’est un véritable gazon avec des villages fleuris et refaits à neuf »?
Ce genre de « résonnement » a toutefois un grand mérite : celui de nous rappeler qu'Homo sapiens est une espèce d'origine steppique, pas forestière. Et donc une fois arrivé dans la pointe ouest du continent eurasiatique, il a eu pour principale obsession de réduire, exploiter et expurger cet environnement hostile. Et le moins que l'on puisse dire, c'est que le mythe de cette hostilité a la vie dure.
« Saturer le dispositif »
Hasard ou coïncidence le site internet de l'hebdomadaire agricole « La France Agricole », peu réputé pour sa propagande en faveur de la vie sauvage, nous livre la pensée profonde de la fine fleur des idéologues anti-prédateurs lors de l’AG de l’association pastorale « Eleveurs zé montagne :
Laurent Garde (CERPAM): « Aujourd'hui, le défi est d'arriver à inverser un comportement qui est complètement acquis pour cette population de loups en France. Il faut lui réapprendre à craindre les activités humaines ». Le jour où ces messieurs auront compris que la seule chose qui décourage un prédateur, c'est l'impossibilité d'attraper une proie potentielle, nos éminents lupotechniciens auront fait un pas de géant...
Et juste après, le même continue : « Nous sommes sur la dernière chance. Il faudrait arriver à saturer le dispositif pour en démontrer son efficacité ou sa non-efficacité ».
Qu'est-ce que ça peut bien vouloir dire, « saturer le dispositif »? Si vous croyez qu'il s'agit principalement de veiller à ce que les moyens de protections des troupeaux soient optimisés et améliorés, avec acceptation du droit au loup à retrouver un territoire que sa présence magnifie, c'est inquiétant, parce qu'en principe, à votre âge, on ne croit plus au Père Noël depuis longtemps...
C'est bien plus basique : « saturer le dispositif » ça veut juste dire qu'il faut absolument atteindre le quota de 24 loups à abattre en 2013. Et donc que ce qui n'est qu'un plafond devienne un quota d'abord, pour devenir un plancher ensuite.
La logique en action ici est vieille comme les programmes de soutien agricole et obéit à un objectif simple : tout programme exceptionnel à vocation à devenir perpétuel. Pour cela il y a une règle d'or : Le programme doit montrer des signes d'efficacité, mais pas trop. Et oui : si l'objectif est atteint trop vite, adieu la manne économique ! Et l'objectif majeur, c'est la perpétuation des pépètes. La « pépètuation », en quelques sortes.
Ça fonctionne pour tous -TOUS- les programmes de lutte contre ceci ou cela en agriculture :
Le programme N°1 a permis d'obtenir des résultats encourageants, mais encore insuffisants.
Le programme N°2 doit donc lui succéder, mais avec davantage d'ambition. Comprendre : davantage de budget. Ainsi de suite, jusqu'à ce que cela ne soit plus un programme exceptionnel, mais une banale subvention parmi d'autres, acquise. Et on ne revient pas sur un acquis, même si la cause de départ a parfois disparu.
Le détournement des crédits liés à la préservation de l'ours en Pyrénées Occidentales aujourd’hui pérennisés alors que l'ours y est au bord de l'extinction en est une « brillante » démonstration.
Déclinons cette logique avec le plan loup :
- Si la prédation du loup ne baisse pas, cela voudra dire qu'il faut en abattre davantage, parce que preuve sera faite que ça ne suffit pas.
- Si la prédation du loup baisse légèrement, cela voudra dire que ça marche un peu, mais qu'il faut quand même en abattre davantage pour que ça marche mieux.
- Si la prédation venait à baisser significativement ? Pas de problèmes : le monde pastoral est suffisamment organisé pour que cette hypothèse n'ait aucune chance de se produire ou de filtrer dans la presse...
Bruno-besche-Commenge
© Buvette des Alpages Et le plus beau, pour conclure ce bel article plein de bon sens paysan...
Pour Bruno Besche-Commenge, porte-parole de l'ADDIP, « Il y a une volonté de désappropriation du droit des gens sur leur terrain. Nous continuerons de nous battre pour rester maîtres sur nos territoires. »
Il manque juste : « grâce à l'argent des autres » pour que la phrase soit complète et cohérente. Mais c'est sans doute une coquille du rédacteur de l'article. Un tel oubli ne peut pas être le fait d'un tel penseur...
Le mythe de Sisyphe
L'anthropologue João Pedro Galhano Alves disait : « Plus un écosystème est pauvre en biodiversité, plus il exige de grandes quantités de travail et d’énergie pour son maintien, ce qui le rend insoutenable à terme pas seulement du point de vue écologique, mais aussi du point de vue social. »
Il aurait pu rajouter que : plus on s'obstine à atteindre un objectif éloigné de la dynamique naturelle d'un écosystème, plus cette orientation devient couteuse, et au final, intenable pour la collectivité, si elle n'en tire pas ou plus bénéfice.
C'est exactement la situation à laquelle on est arrivé en zone montagneuse. Après avoir éliminé grands herbivores et grands carnivores, on a laissé la place à des formes d'élevages qui ne sont absolument plus rentables aujourd'hui. Une éventuelle rentabilité de l'opération n'aurait pas suffit à rendre légitime l'extermination d'espèces. Mais même ce prétexte ne peut ici servir de paravent. Seuls le clientélisme électoral et la totale incapacité du personnel politique à envisager autre chose font que ce petit monde fait durer son joujou un peu plus longtemps. Et grâce bien sur à la participation volontaire obligatoire du contribuable.
Mais typiquement, on se trouve dans un remake du mythe de Sisyphe. Ça tombe bien, ça fait raccord avec la thématique du début. Sisyphe, c'est ce personnage de la mythologie grecque qui fut condamné à faire rouler éternellement un rocher jusqu'en haut d'une colline dont il redescendait chaque fois avant de parvenir à son sommet.
L'ouverture des milieux pour l'ouverture des milieux, c'est à dire sans réelle raison si ce n'est s'opposer dogmatiquement à la dynamique naturelle, c'est un travail de Sisyphe : appelé à être constamment renouvelé sans jamais aboutir à quelque chose de stabilisé et de définitif. Bref, un bel exemple de l'absurdité de vouloir quand même achever un travail que l'on sait interminable. Cela durera tant que le consentement à cet usage de l'impôt durera. Et c'est totalement indépendant d'une quelconque extermination du loup, vu que c'est justement la dynamique naturelle de la végétation qui contribue au retour du loup, et non l'inverse. Tout au plus peut-on considérer que, pour certains, l'éradication du loup renforce l'inspiration quasi-messianique conduisant à la domination de la Nature.
Jean-Pierre Choisy, biologiste chargé de mission Faune au Parc Naturel Régional du Vercors, disait :
« Il est rationnellement impossible que la reforestation spontanée de prairies de fauches issues de défrichements du XIII° siècle, l'abandon d'exploitation de boisements inaccessibles avant le débardage par câble au XIX° siècle, constituent des catastrophes pour la faune et la flore. »
Avis partagé par Jean Claude Génot : « Soyons clair, s'il n'y avait pas d'agriculture en montagne, il y aurait de la forêt. Des forêts tout aussi accueillantes, accessibles et sûres que des alpages. »
Mais pour Homo subventionnis maximus et Homo electoralis repetitus, c'est une autre musique. C'est donc important de régulièrement rabâcher au financeur le risque de collapse écosystémique lié à « l'ensauvagement des massifs ». Ben oui : imaginez qu'il décide de préférer payer pour autre chose que le râpage de la montagne : ce serait dramatique pour la France, Le Monde et l'Univers tout entier. On peut aussi trouver dans cette politique d'ouverture des milieux à tout prix, une ressemblance avec les danaïdes, toujours en mythologie grecque.
Le tonneau des danaïdes
Les danaïdes étaient condamnées à remplir éternellement des jarres percées. Ce châtiment est resté célèbre par l’expression du « tonneau des Danaïdes », qui désigne une tâche absurde, sans fin ou impossible.
La différence entre les mythes et le dogme de la ruralité à la française, c'est que dans les mythes, ce sont des châtiments. Alors que là, on fait délibérément tourner la machine à vide. Faut dire que, tant que c'est payé par d'autres, c'est plus facile. Mais quand même...
Quel haut degré de haine de la Nature faut-il atteindre pour s'activer en vain et à ce point pour la détruire ?
Bernard Pesle Couserend