J'étais sur la côte est. Tentant de faire un peu d'argent comme tout le monde. Mais je prenais le pire moyen pour y arriver. Je chantais, la guitare acoustique accrochée au cou dans les bars. Sexe bleu et liqueurs douces oui, odeurs de rousse aussi. Mais vide total et pas un sou qui m'adorait.
J'étais entre Gaspé et nulle part et j'avais décidé que je revenais chez moi. Mais si j'avais pu compter sur une âme charitable pour me mener dans le trou où j'étais, j'étais sans moyen de transports pour retourner à Montréal. Sans moyens tout court pour dire vrai. Tout juste une dizaine de dollars que je me réservais pour un drink ou deux en chemin. Je faisais du pouce le long de la route.
J'avais calculé, avec la circulation plus ou moins constante, qu'en une semaine je pourrais finalement être chez moi. Dormir à la belle étoile ne me faisait pas peur. Et manger...c'est jamais complètement essentiel pour les drogués comme moi.
Je lui ai raconté mes histoires, il m'a raconté les siennes. On aurait dit un homme qui n'aurait jamais voulu connaître le monde passé les années 70. Un vrai nostalgique. Il m'a offert plusieurs cigarettes et quelques snacks qu'il avait dans la voiture. Des choses dont je n'avais jamais entendu parler mais qui avaient bon goût. J'avais si faim. Quand on était gros comme lui, on devait avoir tout goûté et vouloir varier, je suppose.
Dans le café, je m'installe au bar, m'allume un clou de cercueil et commande ma bière. Quand j'annonce que c'est gros Jeff qui me suggère de prendre un verre et de mettre ça sur son bill, le serveur se retourne vivement vers moi et me demande de répèter son nom.
Ceci impose un silence chez toute la clientèle de l'endroit.
"Tu as bien dis Gros Jeff?"
"ou...oui...pourquoi? Il n'est pas aimé ici? il vient de gracieusement me transporter sur presque 125 kilomètres dans sa Buick Century 1976"
Là le serveur est passé de tendu à plus confident. Il s'est penché vers moi en me servant ma bière et m'a dit:
"Mais j'ai vraiment été conduit jusqu'ici par Gros Jeff..." ai-je finalement dit.
"Je sais, dit le barman, prends cette bière, c'est la maison qui paie, Gros Jeff protège la vie, désormais"
Je ne suis pas devenu plus riche depuis.
Mais j'avais redéfini l'expression âme charitable sur la route de la Gaspésie.