La Côte des Squelettes

Par Maldoror666
Il était une fois, en Angola, un pécheur qui s'apellait Etienne. Etienne partait tout les matins poser ses filets et ses casiers, pendant que sa femme préparait le repas dans la maison, et que son fils partait à l'école. Ce matin là, Etienne partit poser ses pièges, puis resta pour pécher quelques poissons à la ligne, car il y avait une fête d'organisée dans le village quelques jours plus tard, et qu'il y aurait besoin de beaucoup de poissons pour le banquet. Chanceux, il ramenait dans son navire des quantités de poissons, tant et si bien qu'il en oublia de surveiller le ciel. Et de s'apercevoir qu'une tempête se levait au loin, assombrissant le soleil et faisant se lever sur les eaux un vent vif et froid qui creusait les vagues. Il ne s'en aperçut qu'une fois le soir tombé, qu'une fois que sa barque, qui avait voguée au gré des courants, l'avait emmené trop loin de la terre.
 
Perdu en pleine mer, et en pleine tempête! Il se rassura alors en se disant qu'il n'avait qu'à pagayer jusqu'à la plage, qu'il ne pouvait pas être si loin. Prenant son courage et sa pagaie à deux mains, il commença à lutter contre les éléments. Ballotté, à deux doigts de chavirer, voyant dégringoler dans les tréfonds de l'océan sa précieuse cargaison de poisson et d'eau douce, assoiffé par l'eau de mer avalée malgré lui, à demi mort de fatigue, de faim et de soif, il lutta toute la nuit contre la tempête, et au matin, une fois les flots calmés, il aperçut, flottant doucement sur l'onde plate, une branche d'arbre. Reprenant espoir en voyant soudain cette promesse de rivage, il rassembla ses dernières forces pour pagayer avec l'énergie du désespoir jusqu'à cette terre qu'il devinait là-bas.
Cette terre qui, plus il s'en rapprochait et plus il en était sur, n'était pas celle d'où il était parti la veille, n'était pas non plus une de celles qu'il avait déjà croisées, pas même une de celles dont les anciens parlaient parfois dans les veillées. De fait, c'était une petite île, à la végétation luxuriante, débordante de fruits mûrs et gorgés de pulpe, et, privilège suprême, dotée d'une source d'eau douce et certainement potable, du moins l'espérait-il.
Il aborda en vue de cette île inconnue, et ressentit tout de suite comme un doute, une impression, un froissement de l'air... il n'était pas seul. Résolu à demander son chemin, ainsi que quelques vivres et un peu de repos, il s'enfonça dans la mangrove épaisse et étouffante, moite et oppressante, qui constituait la quasi totalité de la surface de cette île de moins en moins paradisiaque. Après quelques heures de pénible progression dans la végétation inhospitalière, peuplée de moustiques assoiffés de sang et de serpents venimeux, de crapauds buffles et de mygales vives comme l'éclair et venimeuses comme des cobras, il atteignit une petite clairière, où se trouvait assis un homme.
Un vieillard à la longue barbe aussi blanche que sa peau était noire. Il était vêtu en tout et pour tout d'un pagne, le reste laissant apparaître sa peau flétrie par les ans et la vie au grand air, et tatouée de mille signes étranges. Un ermite! Etienne en avait entendu parler parfois, de ces hommes qui avaient choisis de vivre loin du reste du monde, on en parlait parfois comme de vieux fous, parfois comme de grands sages, mais tout le monde s'accordait sur un point: ceux qui croisaient leur route une fois s'en souvenaient toute leur vie. Lorsque l'ermite, après un temps incalculable passé à observer Etienne avec un regard aussi acéré qu'un laser, se décida à ouvrir la bouche, ce fut pour parler d'une voix rauque et traînante, et lui proposer un marché: son navire, ou du moins ce qu'il en restait, était à présent caché hors de sa portée. S'il acceptait de passer une épreuve, et qu'il la remportait, il pourrait quitter l'île avec autant de vivre qu'il pourrait en emporter, et une voix maritime sûre pour rentrer chez lui au plus vite. S'il échouait, il mourrait sur place et servirait de repas aux animaux affamés. Curieux marché, en vérité, mais avait-il le choix?
Il ne put qu'accepter, et l'ermite lui désigna alors trois crapauds buffles assis là. L'un deux, et un seul, n'était pas pourvu de venin et était donc tout à fait comestible. Les deux autres étaient mortels dans l'heure, via une souffrance atroce. Etienne devait choisir, en prenant autant de temps qu'il le voulait, et manger en un seul coup de dent le crapaud qu'il pensait être le bon. Etienne s'assit alors devant les trois batraciens et réfléchit... longtemps.... les pesant, les soupesant, ouvrant leur gueule pour tenter d'apercevoir les crocs remplis de venin, mais ces derniers demeuraient invisibles. L'un de ces trois animaux était d'un aspect repoussant. Couleurs criardes, yeux globuleux injectés de sang, et nerveux avec ça. L'autre était plutôt affable, aux couleurs ternes et délavées, l'oeil mi clos et mou comme du pain trempé. Le troisième était la parfaite synthèse des deux.
Etienne réfléchit encore longuement, puis se souvint de ce qu'un ancien du village lui avait conseillé un jour où il s'était perdu dans la brousse: "Si tu ne trouve plus ton chemin, fie-toi à ton instinct." Etienne se saisit alors du crapaud le plus nerveux, le plus coloré, le mit dans sa bouche et le broya d'un coup de mâchoire énergique et décidé. Après une seconde qui lui parut durer une éternité, l'ermite lui demanda de sa voix traînante: "Comment as-tu su qu'il était comestible?" Etienne, qui savourait le goût rassurant de sa proie, répondit simplement "il ne faut pas se fier aux apparences, pourtant les animaux le font. C'est pourquoi pour se protéger des prédateurs, il a du se faire passer pour un animal dangereux". Etienne pur repartir, avec un navire réparé, plein de vivres et la promesse qu'en naviguant en direction du soleil pendant un jour entier il regagnerait son village.

Oui mais voilà, pendant la journée le soleil bouge sur l'horizon, allant d'est en ouest, et ainsi s'en trouva faussée la route d'Etienne, qui aborda sur une plage, qui, elle non plus, ne ressemblait pas à celle qu'il connaissait. C'était une plage immense, où rouillaient des dizaines d'énormes navires, entassés là par un courant capricieux. Des dizaines de bateaux pétroliers, de transporteurs de fret, de tankers grands comme des stades de foot. Un immense cimetière de bateaux, d’aussi loin que portait le regard on ne distinguait que de hautes murailles d’acier rouillé. Etienne connaissait cet endroit, les anciens en avaient parlés plusieurs fois. Une plage où personne ne va jamais, trop loin des villages, une plage peuplée de fantômes de navires, dont le nom seul décourageait les aventuriers: la côte des squelettes.
Etienne, tout d’abord inquiet, fut rassuré de savoir enfin où il se trouvait. Rassuré surtout de ce que son village ne soit qu’à une journée de marche. Abandonnant là son navire et ses vivres, qui l’auraient ralenti, il se mit en marche, résolut à revenir chercher son esquif et sa précieuse cargaison avec quelques amis le lendemain. Il marchait ainsi d’un bon pas, préparant le récit de son aventure qu’il se délectait déjà de raconter à la veillée, lorsqu’il aperçut une silhouette allongée dans le sable. Un blanc, habillé richement d’un complet veston tout à fait hors de propos en ce lieu et en cette saison, qui semblait plongé dans un profond sommeil.
Etienne essaya vainement de le réveiller, mais l’homme ne bougea pas d’un pouce. Il ne possédait rien qui puisse donner une explication sur sa présence ici, hormis, serré dans sa main gauche, un papier froissé recouvert de chiffres et d’opérations. Etienne, qui n’était plus très loin de son village, décida d’aller chercher de l’aide. Mais lorsqu’il revint avec le sorcier du village et quelques amis, ils ne trouvèrent nulle trace du blanc, et pas plus de preuve de sa présence. C’est depuis cette date qu’un bruit circule dans les villages d’Angola et de la proche Namibie que cette plage, la côte des squelettes, est hantée, qu’on y croise des mirages et qu’il est en tout cas déconseillé au navigateur perdu d’y aborder…
FIN