Ce rapport expose les enjeux de l’exploitation du gaz naturel aux Etats-Unis (en hausse de 23% entre 2007 et 2012 [2] en raison de l’accroissement de l’exploitation de gaz de schiste) en termes de réduction des émissions de GES et propose plusieurs pistes pour diminuer le taux de fuites à 1% de la production totale de gaz naturel. Selon les auteurs, cela est non seulement nécessaire mais également possible dès aujourd’hui, de façon efficace et économiquement rentable. Ce serait même l’une des actions les plus importantes pour atteindre l’objectif de réduction des émissions de GES de 17% par rapport au niveau de 2005 d’ici 2020, sur lequel les Etats-Unis se sont engagés [3].
Réduire les fuites de méthane liées à l’exploitation du gaz naturel : un enjeu important
Le problème de fuites de gaz naturel tout au long du cycle d’approvisionnement fait l’objet d’une attention particulière aux Etats-Unis [4] en raison du développement important de l’exploitation du gaz de schiste. Il s’agit de l’un des douze “risques consensuels” liés à l’exploitation du gaz de schiste évoqués par les experts dans une récente étude [5]. Les émissions de méthane liées au gaz naturel aux Etats-Unis représentent actuellement 40% des émissions totales de méthane du pays [6]. L’étude du WRI estime que, pour un taux de fuites de 2% de la production totale américaine, plus de 6 millions de tonnes de méthane seraient émises dans l’atmosphère par an (soit l’équivalent des émissions annuelles de 120 millions de voitures environ). Actuellement, ces “fuites” représentent une part significative des émissions de méthane américaine, or rappelons-le, le méthane est un gaz à effet de serre 25 fois plus important que le CO2 sur une période de 100 ans. Comme nous l’expliquions dans un précédent Bulletin Electronique [7], selon le taux de fuites et les secteurs considérés, les émissions varient considérablement et modifient les avantages comparatifs de cette source d’énergie.
La réponse du panel présent au WRI [8] à la question de Keith Johnson “le gaz naturel est-il “mieux” que le charbon?” a donc été unanime : “cela dépend”. Selon les auteurs de l’étude, le taux des fuites ne doit pas dépasser 1% de la production totale pour que les effets du gaz naturel sur le climat soient inférieurs à ceux du charbon ou du diesel, ce qui revient à diminuer de moitié (voire de deux tiers) les fuites actuelles. Il est néanmoins important de rappeler que cela ne prend en compte que les effets sur le changement climatique, excluant donc les effets potentiels des différentes sources d’énergie sur la qualité de l’air, les différents types de pollutions pouvant être générées par les sites d’exploitation, les conséquences sur la santé publique…
Réduire les fuites de méthane grâce aux technologies et aux réglementations
Les résultats de l’étude du WRI montrent qu’il est tout à fait possible d’atteindre cet objectif avec les technologies existantes aujourd’hui de manière rentable, les investissements initiaux pour les technologies évoquées pouvant être remboursées en moins de 3 ans. Le rapport évoque plusieurs technologies [9] pour limiter les émissions : adopter des systèmes de plunger lifts (pistons élévateurs) qui permettent d’éviter les fuites de gaz lors de l’évacuation des liquides accumulés dans le puits en faisant remonter ces liquides à la surface sans générer de perte de gaz ; changer les régulateurs de pression pneumatique (qui relâchent du méthane dans l’air pour réguler notamment la pression et le flux du gaz) en utilisant des appareils avec de plus faibles pertes ; utiliser des technologies de détection et réparation des fuites de méthanes dans les puits, les usines de transformation et les stations de compressions. L’adoption de ces trois technologies uniquement permettrait de réduire les émissions de 30% [10] (voir figure ci-dessous).
Certaines décisions prises par l’Agence de Protection de l’Environnement américaine (EPA), visent à proscrire les fuites de gaz naturel dans l’atmosphère au cours du processus de completion. C’est notamment le cas des standards de performance pour les composés organiques volatiles des nouvelles installations, finalisés en avril dernier, qui imposent au plus tard en 2015 une “complétion verte” des nouveaux puits d’exploitation (ou des puits ré-exploités) utilisant la fracturation hydraulique. Cela ne concerne donc pas les fuites au cours de la transformation, du transport ou de l’utilisation finale. D’après le rapport du WRI, la seule application de ces nouveaux standards devrait permettre de diminuer les émissions de méthane en amont de 17% d’ici 2015 et 29% d’ici 2035 (cf. graphique).
Des réglementations supplémentaires, visant à limiter spécifiquement les émissions de méthane sur l’ensemble du cycle d’approvisionnement seront tout de même nécessaires pour dépasser l’objectif de 1% (“Go-getter scenario”). Elles peuvent être prises par l’EPA en application du Clean Air Act et par les Etats fédérés. Ceci étant, Fiji George, conseiller pour les politiques publiques et les réglementations chez Shell, présent lors du lancement du rapport au WRI, a estimé qu’il était trop tôt pour imposer des réglementations pour une réduction des émissions de méthane car, selon lui, les incertitudes liées aux quantités émises sont trop importantes. Les auteurs de l’étude ont quant à eux plaidé pour l’adoption au plus vite de telles mesures, considérant que les ordres de grandeurs sont connus et qu’il n’est pas nécessaire de connaître le niveau de fuites de chaque puits pour fixer un objectif de réduction des émissions. Par ailleurs, ils jugent que ces fuites de gaz sont une pure perte d’un “bien public” pour les citoyens, qui finissent par en payer le prix directement (via leurs factures) ou indirectement (par le manque à gagner en royalties).
De nombreuses incertitudes demeurent sur le réel taux des fuites de méthane
Les “fuites” ou émissions fugitives de méthane ont lieu tout au long du cycle du gaz naturel mais le taux de fuites global n’est pas précisément connu. Il varie, selon les études (qui n’utilisent pas toutes les mêmes méthodologies ni les mêmes limites dans la définition du “cycle du gaz naturel”), de 2% jusqu’à 7% de la production totale, comme le montre le graphique ci-dessous, qui présente les résultats de plusieurs études évaluant les niveaux d’émissions de GES à différentes étapes du cycle du gaz de schiste. Il convient de mentionner que le WRI n’a pas observé de différences significatives entre les émissions en amont de GES entre le gaz conventionnel et le gaz de schiste dans les principales publications disponibles.Mais ces chiffres sont également sujets à débats : une étude de chercheurs de l’université Cornell qui considérait les émissions de méthane en amont et en aval (stockage, transmission, distribution), estimait que celles liées au gaz de schiste étaient de 40 à 60% plus importantes que les émissions liées au gaz naturel dit “conventionnel” [11].
Le chiffre donné en 2012 par l’inventaire des émissions de GES de l’EPA est de 3% pour la production totale de gaz naturel, mais les estimations de l’agence varient considérablement d’une année à l’autre [12] et se fondent généralement sur les déclarations faites par les industriels, ou sur des mesures prises sur le terrain des années 90. Des recherches supplémentaires et davantage de mesures directes sont nécessaires pour affiner les estimations. Certaines études sont d’ailleurs déjà engagées. L’Université du Texas à Austin, en partenariat avec l’Environmental Defense Fund, un think tank environnemental américain et des entreprises d’ingénierie et de tests environnementaux (URS et Aerodyne Research), a lancé une étude pour mesurer les fuites au cours de la production du gaz naturel. Neuf des principales compagnies gazières américaines participent également à cette étude (Anadarko Petroleum Corporation, BG Group plc, Chevron, Encana Oil & Gas Inc., Pioneer Natural Resources Company, Shell, Southwestern Energy, Talisman Energy, USA, et XTO Energy). D’après Mark Brownstein, vice-président associé du programme énergie et climat à l’Environmental Defense Fund et membre du panel, les premiers résultats de cette étude devraient être disponibles en mai. Le “Center for Alternative Fuels, Engines and Emissions” de l’Université de Virginie Occidentale, en partenariat avec l’Environmental Defense Fund et plusieurs industries, prépare également une étude pour mesurer les émissions de méthane des véhicules fonctionnant au gaz naturel et des stations d’approvisionnement.
Finalement, la question posée n’est donc pas tant “le gaz naturel est-il “mieux” que la charbon ou le diesel” mais plutôt “fait-on tout ce qui est possible aujourd’hui pour limiter au maximum les émissions générées par ces sources d’énergie” ? La réponse à cette question, d’après l’ensemble des membres du panel présents au WRI, est clairement “non”, malgré l’existence des moyens pouvant limiter les fuites tout au long du cycle du gaz naturel. Enfin, comme l’a rappelé le panel, même si le taux de fuites de méthane était de 0%, les émissions liées à la combustion du gaz naturel seraient toujours trop importantes pour limiter le réchauffement climatique. D’autres mesures seront nécessaires pour infléchir suffisamment les émissions de GES américaines, notamment le développement massif des énergies renouvelables et la capture et le stockage du carbone, évoqués par plusieurs intervenants.